1. Ozwald, Thierry, La Nouvelle, Paris, Hachette Supérieur, 1996, 191p.
Cet ouvrage d’analyse textuelle écrit par un spécialiste de Mérimée repose sur deux postulats : le concept de nouvelle est né au XIX° siècle ; il ne saurait être illustré tout à la fois que par des exemples français du XIX° siècle et des exemples étrangers des XIX° et XX° siècles. De tels présupposés théoriques, outre qu’ils impliquent le rejet sans appel d’autres approches, sont si réducteurs (la nouvelle n’existerait déjà plus au XX° siècle ; les modèles sont d’abord étrangers) qu’ils rendent tout à fait vaine la démarche initiale. Après tant d’autres (Albert Thibaudet soutenait déjà, en 1936, que la nouvelle française est apparue avec Mérimée), Th.. Ozwald élève – je passe sur le jargon employé – une conception de la nouvelle, la sienne, au rang de norme, en éliminant les œuvres qui n’y correspondent pas, qui ne pourraient qu’infirmer ses démonstrations.(on se pose la question : quelles sont donc les nouvelles qu’il a vraiment lues ? – quand je rencontrai Th. Oswald au second colloque de Louvain-la-Neuve, j’ ai pu mesurer le degré incommensurable de son inculture… ) Je me suis toujours demandé comment on pouvait ainsi refuser le fait que pendant quatre siècles, du XV° au XVIII°, le terme de « nouvelle » a désigné couramment des textes et que leurs auteurs étaient conscients d’être des nouvellistes (un exemple parmi d’autres : « En un mot, dit un personnage de La Maison des jeux, 1643, de Ch. Sorel, nous voulons des nouvelles, le mot l’emporte »). Passe encore du temps de Thibaudet qui manquait d’information, mais à présent que des seiziémistes, des dixseptiémistes, depuis tant d’années, ont établi l’existence d’une histoire de la nouvelle, un tel refus est une aberration parce qu’il est la preuve d’une démarche qui ne tient pas compte des textes mais seulement de l’idée que l’on se fait des textes (imaginerait-on de faire commencer l’histoire du cinéma à la naissance du parlant ?) Tout se passe en outre comme si, depuis quelques années en France, aux yeux d’une certaine critique, on ne pouvait réfléchir sur la nouvelle qu’à partir d’un corpus de noms et de titres, qui sont toujours les mêmes (Mérimée, Maupassant, Poe, Borgès…), et jamais d’autres (par exemple, pourquoi L’Heptaméron et pas Les Cent Nouvelles Nouvelles, Tchekhov et pas K. Mansfield ?). Tous les vrais exégètes de la nouvelle enfin savent qu’il n’y a pas plus grand leurre que de se tenir à une définition normative de la nouvelle, la réalité des textes se chargeant vite d’annihiler pareille construction de l’esprit. Par ailleurs, si l ‘on doit réagir à plus d’une affirmation bien imprudente (par exemple, celle, historiquement fausse, selon laquelle Diderot serait le premier théoricien de la nouvelle : c’est oublier Segrais, Sorel, Du Plaisir, Lenglet du Fresnoy, Argens… ; celle, simpliste, selon laquelle le XX° siècle n’aurait innové en rien : c’est oublier la « nouvelle-instant », le « recueil-ensemble »…), l’on doit surtout relever de graves manquements critiques : aucune mention n’est faite de ces travaux récents sur la nouvelle du XX° siècle (ne parlons pas des recherches des dixseptiémistes scandaleusement ignorées) : O.Dezutter, Th. Hulhoven, La Nouvelle (1989, 1991), M.Viegnes, L’Esthétique de la nouvelle française du vingtième siècle (1989), J.P.Boucher, Le Recueil de nouvelles (1992), Le Genre de la nouvelle dans le monde francophone au tournant du XXI° siècle. Actes du colloque « L’Année Nouvelle » (1994)… Une certaine critique universitaire française devrait savoir qu’elle ne détient pas le monopole des études sur la nouvelle, devrait aussi cesser de snober sa propre littérature.
2. Pellerin, Gilles, Nous aurions un petit genre. Publier des nouvelles. Essai, Québec, L’Instant Même, 1996, 220p.
Nouvelliste (son premier recueil date de 1982), journaliste , enseignant et critique littéraire, conférencier (il était présent au colloque de l’Année Nouvelle à Louvain-la-Neuve en 1994),le Québécois Gille Pellerin s’est fait connaître en créant une maison d’édition, L’Instant Même, qui ne publie que des nouvelles. Pour fêter les dix ans de sa maison, en plus de la publication d’un florilège de ses auteurs (Dix ans de nouvelles. Une anthologie québécoise), cet « apôtre » de la nouvelle dresse ici le bilan de ses expériences, comme éditeur, comme témoin de la vie littéraire québécoise, comme auteur (au terme de « nouvellier » -employé à présent outre-atlantique, Gilles Pellerin continue – il a raison – à lui préférer celui de « nouvelliste »). Cette réflexion qu’il mène depuis longtemps sur un genre n’est pas le fait d’un théoricien (ouf !) : « …je brûle mes vaisseaux, j’accepte de rendre un livre qui posera plus de questions qu’il n’apportera de réponses. Je n’appartiens pas à la gent critique, je ne suis pas chercheur ; éditeur, mon travail consiste à être avec le livre, et pendant. On cherchera ici en vain des définitions. » (p.7) A partir de vingt-cinq petites séquences (Un genre cruel, Répertoire des thèmes de la nouvelle, Chapitre d’humeur sur le chauvinisme, Loin du tumulte, Les Nouvellistes, La Loi du marché : qui fait la loi ?), Gilles Pellerin se pose, non sans humour (quelle chance !), toute une série de questions, et qui sont de vraies questions : « Comment persister à publier des recueils de nouvelles si ce n’est dans la perspective qu’ils trouveront, avec leurs auteurs, place dans l’histoire littéraire ? » (p.8), « Si les nouvellistes tenaient vraiment compte des lecteurs, ils écriraient des romans. » (p.48), « Je tiens en effet qu’on ne pratique un genre que sur la foi du genre lui-même. C’est-à-dire que le genre est générique comme on dirait génétique. La nouvelle engendre la nouvelle. » (p.74), etc. Prônant la diversité du recueil – il croit, par exemple, au caractère hétérogène du recueil : « « J’ai longtemps adhéré à cet idéal de cohérence absolue, mais je serai consterné qu’on en tire la loi nouvelle et que cela exclue Maupassant… sous prétexte d’exigences à ranger dans l’ordre de la superstructure. » (p.150) -, affirmant la spécificité d’un type de nouvelle, celui qu’il édite : « Je reste sceptique devant l’importance que l’on accorde à la dimension psychologique de la littérature, à ce courrier du cœur par procuration. » (p.79), Gilles Pellerin revendique le droit pour la nouvelle à être éditée : « … il nous arrive de publier des textes dont nous savons qu’ils ne trouveront pas preneurs mais dont nous sommes persuadés qu’ils doivent exister comme il en a été, à l’état de manuscrit, dans la fragilité d’un soir de lecture. Il faut que l’avenir soit tenu au fait de ces textes. » (p.140) Lucide quand il évoque la situation de la littérature québécoise (« J’entends régulièrement des Québécois affirmer qu’ils sont fiers de parler le français. Je n’ai jamais entendu un Américain dire que he is so proud to speak english. Il n’a pas à le faire, parler anglais va de soi pour lui. Il n’a pas non plus à s’en excuser. Parler le français, écrire des nouvelles, cela ne pourrait-il pas aller de soi ? » (p.39), Gilles Pellerin, contrairement à ses confrères de la Belle Province, ne veut surtout pas – il a encore raison – isoler la nouvelle québécoise du contexte francophone actuel ( « Il n’y a pas de littérature québécoise ; la littérature québécoise est une portion de la littérature. » (p.87) En cela, son essai est une pièce maîtresse à porter au dossier de la nouvelle de la fin du XX° siècle.
3. Evrard, Franck, La Nouvelle, Paris, Seuil, 1997, 62p. « Mémo 65 »
Après les études de D. Grojnowski (1993), de M. Borgomano (1995), de moi-même (1995), de Th. Ozwald (1996), auxquelles on ajoutera les livres plus spécialisés de Fr. Goyet (1993), de seiziémistes (1996), de Québécois (1993, 1996), sans oublier les grands colloques qui viennent de se tenir sur la nouvelle : Louvain-la-Neuve (1994), Dublin (1995), Metz (1996), Louvain- la-Neuve encore (1997, actes à paraître), voilà, en l’espace de cinq ans, un onzième livre sur la nouvelle. La nouvelle, qui, pendant longtemps, n’intéressait personne, est à présent à la mode dans le monde de la critique universitaire (l’autre, la journalistique, l’ignore toujours superbement) – il y aurait toute une réflexion à mener sur le fait que, dans le temps où le nouvelle(re)devient de moins en moins un objet de lecture, elle est de plus en plus un sujet de réflexion… Comme le livre de Th.Ozwald, celui de Franck Evrard, auteur entre autres de Lire le roman policier (Paris, Dunod, 1996), s’adresse à un public d’étudiants universitaires. Mais la comparaison s’arrête là : autant le premier accumule les contre-vérités, les erreurs, etc., et très prétentieusement, autant le second constitue une bonne petite synthèse (62 pages seulement !). M.Evrard, qui écrit lisiblement, qui n’a pas peur de parler de genre (à une époque où la notion est si attaquée), qui croit à une histoire du genre (« L’approche historique permet de saisir le phénomène de la nouvelle dans sa continuité et l’évolution progressive de ses formes esthétiques, en particulier au XIX° siècle où la nouvelle se constitue véritablement comme genre. », p.14), pose les vrais problèmes, circonscrit, à partir de trente et une illustrations bien choisies, les vrais sujets d’analyse (dans le chapitre II : « Morphologie de la nouvelle », le chapitre III : « Stratégies d’écriture », le chapitre IV : « Intention et réception »). Il a encore le grand mérite de se référer à des œuvres essentielles du XX° siècle, si riches pour le commentaire, comme celles de M.Arland, d’Annie Saumont. Dommage que M. Evrard fasse trop, à mon gré, la part belle à l’exemple étranger ; il faudrait se convaincre que l’exemplarité se trouve aussi dans les textes français, théoriques ou non.
4. Jean-Pierre Aubrit, Le Conte et la nouvelle, Paris, Colin, 1997, 191p. « Cursus »
Réfléchir au conte et à la nouvelle équivaut pour J.P.Aubrit à s’interroger en définitive sur la notion de récit bref. Pareille approche, qui n’avait pas encore été menée à ce point d’analyse, se démarque, très heureusement, des ouvrages qui viennent de paraître sur la nouvelle (du moins bon, Th. Ozwald, La Nouvelle, 1996, au bon, Fr. Evrard, La Nouvelle, 1997).Dans la première partie (« Parcours historique du récit bref dans la littérature française »), il s’agit de faire une mise au point historique sur les différents types de récit bref qui se sont succédé à travers les siècles, depuis les lais jusqu’à la nouvelle-instant du XX° siècle. Ce chapitre, le plus long (p.6-96), ravit l’historien que je suis parce qu’y sont affirmées tout à la fois l’existence de traditions, l’évolution d’un genre et la permanence d’une notion qu’il est bon ton actuellement de rejeter. Dans la deuxième partie (« Conte ou nouvelle »’ : critères d’une partition générique », p.98-136), J.P.Aubrit cerne des critères selon lesquels le conte et la nouvelle se distingueraient : le conte est d’essence populaire, la nouvelle d’essence littéraire ; le fantastique se déploie dans le conte, non dans la nouvelle ; le conte accorde la première place à une « parole conteuse ». Si l’on ne peut qu’être d’accord avec J.P.Aubrit sur le premier critère, je ne suis pas convaincu par les deux autres (ce n’est pas nouveau –et pareil débat fera couler encore beaucoup d’encre…) : c’est là, même si J.P.Aubrit reste très prudent (« Il ne faudrait pas se laisser prendre à la rigueur des critères par lesquels nous venons de distinguer le conte et la nouvelle. », p.136), sous-estimer le fait que le terme de « conte » a toujours deux sens courants mais distincts : le premier, celui, général, de genre, qui appelle l’idée d’une forme narrative spécifique : le conte populaire, le conte de fées, etc. ; le second, celui, particulier, qui se réfère, en raison de sa signification de récit, relation de faits, etc., à une manière de présenter toute forme brève, exprimant là au sens le plus large l’idée de narration. Tant qu’on ne croira pas à cette dichotomie la confusion règnera. Dans la troisième partie (« Conte et nouvelle : poétique de la forme narrative brève », p.138-175), J.P.Aubrit ne fait d’ailleurs qu’aligner les éléments communs qui caractérisent indifféremment le conte et la nouvelle : l’incipit, la finale, la tension formelle, l’ellipse, les sujets, la question du recueil, etc., et ce à la lumière d’exemples français , M. Aymé en tête, aux côtés des inévitables exemples étrangers. Voilà qui est à mettre au crédit de J.P.Aubrit (je savoure – je l’avoue – le fait qu’il ne soit pas référé aux ouvrages de D. Grojnowski, une fois cité, et de Fl. Goyet, ces deux passages obligés pour une certaine critique…). L’ouvrage se termine par l’analyse de deux – beaux – textes en illustration de ce qui a été soutenu dans la deuxième partie : Qui sait ? de Maupassant, Comment Wang-Fô fut sauvé de M. Yourcenar.
5. Payfa, Jean-François, L’Art de la nouvelle. Essai, Louvain, Quorum, 1999, 152p.
On ne sait quelle attitude adopter en face d’un ouvrage aussi nul (Et il fallait le dire) Parce qu’il n’est qu’une succession de banalités sur le genre que plus personne à l’heure actuelle n’oserait écrire. Quant à l’information, elle est proprement ahurissante : Lanson (le Lanson !), Lagarde et Michard , les Larousse de 1928, 1938. En fait, le vrai scandale c’est qu’un tel livre ait pu être publié.
6. Audet, René, La Lecture du recueil de nouvelles, Québec, Editions Nota Bene, 2000, 160p. – Prix Jacques-Blais 2000
Depuis quelques années, la notion de recueil est un des sujets de prédilection de la critique québécoise qui s’intéresse à la nouvelle. Une particularité, car en France cette notion n’est souvent abordée qu’en corollaire. Cela tient surtout au fait que les Québécois auraient davantage tendance à théoriser leur démarche, et le recueil, de ce point de vue, parce que représentant un ensemble bien codé, offre un champ rêvé de réflexion que ne permet pas le genre proprement dit, exemple parfait d’objet littéraire qu ’on ne parvient pas à codifier. Après avoir passé en revue les « théories » du recueil énoncées avant lui, américaines, québécoises, française (dont la mienne, avec cette réserve que je n’ai jamais prétendu être un théoricien de la nouvelle – en tout n’en ai-je pas le vocabulaire).R. Audet , dans son étude, un mémoire de maîtrise en littérature québécoise, propose une grille d’analyse qui refuse l’intention de l’auteur pour ne retenir que l’effet de lecture, en faisant appel aux théoriciens de la littérature, Ricardou, Genette – toujours ces passages obligés que n’oblige pas pourtant la nouvelle… S’il y a beaucoup à découvrir de la lecture de R. Audet (notamment le chapitre II : « Lecture et transgression des frontières des nouvelles »), plusieurs réserves sont à faire : un corpus trop maigre ; une vingtaine de textes alors que la production québécoise est de loin la plus importante après la française à la fin du XX° siècle ; un choix trop orienté : seuls des recueils récents ont été retenus, et la majorité s’inscrit dans un même registre, celui de nouvelles (trop formelles) de L’Instant Même : la question du collectif de nouvelles, si présent dans l’édition québécoise, n’est jamais abordée ; un choix enfin limité au seul Québec – Francophonie, connais pas !
7. Guissard, Michel, La Nouvelle française. Essai de définition d’un genre, Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant, 2002, 377p.
Depuis une décennie, la nouvelle est devenue un champ d’études universitaires. L’étude Michel Guissard est la dix-neuvième depuis 1991. Il s’agit de sa thèse de doctorat présentée à l’université de Louvain en 2000 (je me dois de signaler que je fis partie du jury). En présence de ce volumineux ouvrage (dépassées les 178p. de ma Nouvelle !), il convient de se poser la question : qu’apporte-t-il vraiment à notre connaissance de la nouvelle ? une étude de plus ou une étude en plus ? Généralement, les travaux sur le genre se tiennent à une époque, ou privilégient un siècle, une période, voire quelques noms. Michel Guissard, non. Balayant sans cesse les siècles, fondant ses commentaires aussi bien sur L’Heptaméron, les Nouvelles francaises de Sorel, Les Crimes de l’amour de Sade, Les Diaboliques de Barbey d’Aurevilly que sur des recueils de M. Béalu, M. Arland – Michel Guissard a parfaitement compris que la réflexion sur la nouvelle repose d’abord sur la lecture du plus grand nombre d’œuvres sans exclusive aucune – , utilisant les textes de théorie littéraire (Genette, Ricoeur..) pour en tirer le bon suc (oui, il existe), recourant aussi bien aux déclarations de nouvellistes peu connus qu’aux exégètes actuels (Grojnowski, Ozawald…, ceux-là égratignés souvent : ils le méritent ; moi-même je ne suis pas épargné), abordant les moindres aspects du genre : ceux habituels des rapports avec la réalité, de la terminologie, de la vraisemblance, ceux plus particuliers de la théâtralité, des rapports avec la presse, des concours et des prix, etc., Michel Guissard délivre un certificat d’authenticité à un genre littéraire. A l’heure où la notion se voit remise en cause par d’aucuns (voir A. Mignard), cette approche globale fait la preuve qu’ils ont tort. Donc une étude de plus.
8. Mignard, Annie, La Fiction brève ou fragmentée dans la littérature française depuis les années 1980 (1980-95), Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2002, 502p. (reproduction de l’exemplaire de la soutenance de thèse de doctorat présentée à l’Université de Paris VIII)
Michel Guissard conclut en ces termes son étude sur La Nouvelle française. Essai de définition d’un genre ( 2002) « … nous nous étions fixé des limites, entre autres en ne considérant que les œuvres intuitivement perçues comme des nouvelles (ou comme des œuvres ressemblant à des nouvelles) par ceux qui les écrivent ou qui les lisent. Cela nous évitait de nous préoccuper de certains textes contemporains – micro-fictions, fictions, textes brefs, poèmes en prose, « récits incertains », « flashes » autobiographiques – pour lesquels leurs auteurs rejettent le plus souvent l’étiquette « nouvelle », en soi parce que c’est une étiquette, et parce que celle de « nouvelle » est trop liée à certaines formes de récits de type maupassantien ou mériméen . Pourtant ces « textes » partagent de nombreux traits avec la nouvelle telle qu’elle a pu être définie dans le cadre élargi des propriétés typiques ou atypiques et de la ressemblance de famille : qu’il s’agisse de leurs aspects transgénétiques, de leur narrativité bousculée, de la focalisation sur un événement ou de la mise en relief de minuscules moments. » (p.319-320) C’est l’examen de ces « textes » qui constitue le propos de Annie Mignard, auteur elle-même, notamment d’un bon recueil (Sept histoires d’amour, 1987, 1996), et qui ne manque pas de nous faire profiter de sa pratique d’écrivain. Avec ce postulat de départ que la nouvelle (« terme d’emploi flou qui s’approche quelque fois du roman à s’y méprendre », p.20) n’est qu’une composante parmi d’autres de la fiction brève à partir des années 1980. Composantes qui sont au nombre de cinq : 1. La nouvelle = « le format le plus bref d’une fiction ouvertement narrative » (p.49) ; 2. le texte court = fiction très brève, à la marge du narratif ; 3. la novella = une fiction « trop longue pour être dite nouvelle, trop courte pour être dite roman » (p.56) ; 4. le recueil, avec cinq types : un texte disparate, le recueil collectif, le recueil élaboré, le recueil composé, unitaire, le recueil d’exercices en série, ou de gammes ; 5. le fragment = un texte bref ou toujours en fragment ou comprimé à travers les fragments. S’appuyant sur une grille d’analyse qui repose sur des distinctions terminologiques qu’elle est la première à faire, un tel propos (il n’est pas neuf, mais il est le premier à être avancé de manière aussi radicale) remet en cause fondamentalement la notion de nouvelle, telle que la conçoivent tout historien de la nouvelle, la majorité des exégètes, des auteurs même. Sans entrer dans la polémique, qui ne pourrait mener qu’à un dialogue de sourd (j’en ai assez de ratiociner depuis des années, plus de trente ans, sur le bien-fondé ou non de tels débats terminologiques), car je ne saurais souscrire à ce postulat de départ, je voudrais ici faire part de réserves en ce qui concerne la période étudiée, le corpus, et à son terme la portée du propos théorique de base, réserves dictées, par ce qui me semble être un gros bons sens, celui de la prise en compte des textes sans aucune idée préconçue (Annie Mignard estime, p.54, qu’il faudrait évaluer la dimension d’un texte à partir du comptage des feuillets et non des pages imprimées. Je le crois aussi. Mais n’en arriverait-on pas pourtant toujours aux mêmes conclusion, à savoir que certaines nouvelles sont courtes, que d’autres sont longues ?).
– si le choix de quinze ans de production ne saurait être contesté, Annie Mignard tient trop peu compte de ce qui s’est passé avant. Par exemple il n’est pas juste de dire qu’il y a renaissance du récit bref après 1980 parce qu le récit bref n’a jamais cessé d’être pratiqué depuis le début du XX° siècle (qu’on le sache peu, tant les manifestations de la « nouvelle » au XX° siècle sont ignorées, n’y change rien). Annie Mignard isole trop une période de son contexte général. Ainsi encore ce qu’elle dit de l’image déconsidérée de la fiction brève dans l’édition doit tout de suite être corrigé puisque, à partir de 1995, cinq maisons d’éditions mettent à l’honneur la publication de nouvelles : HB.Ed. L’Harmattan, les Ed. du Rocher, Editinter, les Ed. des Ecrivains associés (on ajouter a encore Fleuve Noir et les Belles-Lettres).
– le corpus est trop peu représentatif ce que qu’est vraiment la fiction brève (je prends ici le terme au sens le plus large) quand on sait qu’entre 1980 et 1995 ont paru près deux mille titres ; il est encore trop orienté en ce sens qu’Annie Mignard se limite à des exemples de littérature blanche, en majorité issus de grandes maisons d’édition. Annie Mignard ne prend pas en compte ce qu’elle appelle la littérature de genre (il y a du péjoratif là-dessous) : les textes policiers, fantastiques ou de science –fiction, délaisse tous ces auteurs publiés chez de petits éditeurs dont certains fort actifs, tous ces textes issus de collectifs, de concours de nouvelles, de revues (avec cette profession de foi du Serpent à plumes : « La maîtrise de la forme brève n’est pas l’apanage des seuls nouvellistes. », n°4, 1989, avant-propos) On s’étonnera aussi que, dans les pages consacrées à la place de la nouvelle dans l’édition, Annie Mignard n’envisage jamais en profondeur le fait qu’un nombre élevé d’auteurs recourt à l’auto-édition. En cela, les conclusions de Annie Mignard ne peuvent avoir qu’une portée limitée. (On peut s’interroger quand on la voit illustrer sa première forme par un texte de J. Echenoz, d’où est absente l’étiquette de « nouvelle », alors que le « texte court » est illustré par un texte de Brèves d’amour, nouvelles de L. Janvier ; je m’étonne surtout que Annie Mignard fasse aussi peu référence au terme de « conte » bien présent dans les titres ou les texte d’auteurs).
– à force de catégoriser, n’introduit-on pas davantage la confusion là où elle règne déjà en maître ? Mais pourquoi cherche- t-on toujours à restreindre le sens du terme de « nouvelle « ? Au lieu de le figer dans une forme unique, forgé selon le diktat d’une idée théorique, pourquoi ne pas admettre une fois pour toutes que « nouvelle » est un terme qui recouvre toutes sortes de textes (comme le roman) : des nouvelles courtes, des nouvelles moins courtes, des nouvelles très brèves, des nouvelles longues, des nouvelles fort longues, des nouvelles narratives, des nouvelles moins narratives, que l’évolution pousse à présent vers des nouvelles à la limite du narratif ? En fait, Annie Mignard nie l’existence de la nouvelle en tant que genre spécifique pour lui accorder le seul statut de forme, refuse au terme de « nouvelle » la qualité de terme générique – quand elle cite P.Lepape (elle aurait pu choisir un vrai nouvelliste) : « … finalement, la nouvelle est un roman court. » (p.30), on n’aurait aucun peine à lui opposer d’autres exemples qui soutiennent le contraire. En fait (bis), l’analyse de Annie Mignard ne renvoie qu »’à une toute petite frange – très happy few il faut le dire – de la littérature contemporaine (un courant minoritaire représenté par les J. Echenoz, P. Michon, P. Quignard, Ph. Delerm, R. Detambel et quelques autres).