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Le XXe siècle

1. Borgomano, Madeleine, La Littérature française du XX° siècle, tome 1 : Le Roman et la Nouvelle, Paris, Colin, 1995, p.154-192 « Cursus »

« Accorder à la nouvelle une place dans un ouvrage général sur le roman en France au XX° siècle peut être considéré comme une innovation », est-il noté (p. 154) en ouverture aux 29 pages de la seconde partie (« La Nouvelle ») de cet ouvrage qui en comporte…192. Cette innovation revendiquée n’est malheureusement pas la première : voir déjà R.M.Albérès,Histoire du roman moderne (1962), R. Lalou, Le Roman français depuis 1900 (1966), M. Raimond, Le Roman (1988). 29 pages ! N’est-ce pas d’emblée renforcer l’idée, largement répandue, qu’on ne peut traiter de la nouvelle qu’en corollaire au roman ? Mais comment pourrait-il en être autrement, quand on part de ce postulat : « S’il n’est guère possible de parler d’une histoire de la nouvelle, puisque « la » nouvelle à proprement parler, n’existe pas. » (p.170), postulat contre lequel doit s’élever parce que le dément la réalité des textes. Encore faut-il connaître ces textes, les avoir lus ; encore faut-il être informé/s’informer sur ce qui a été écrit à leur propos. De ces points de vue, les page de Madeleine Borgomano témoignent d’une méconnaissance des plus navrantes. Ainsi ne bénéficieront d’un traitement de faveur que les seuls écrivains, nouvellistes occasionnels pour la plupart, qui sont surtout connus comme romanciers et dont la place est jugée prépondérante par toutes les histoires générales de la littérature actuelle (la tyrannie de la mode !). De s’attarder dès lors à Apollinaire, Colette, Gide, Mauriac, Sartre, Camus, Green, Beckett, Duras, Tournier… sur lesquels il est dit tout ce qu’un chacun sait déjà – plutôt que de mettre en avant un P. Morand, un D. Boulanger, une S. Corinna Bille, trois figures emblématiques de la nouvelle au XX° siècle. Et d’oublier M. Brion, N. Devaulx, E. Bove, H. Thomas. .. Et d’expédier en quelques lignes la nouvelle de science-fiction, la nouvelle francophone – par contre, un encadré de deux pages, rien de moins que déplacé, sera consacré à G. Simenon romancier alors qu’il laisse dix-neuf recueils de nouvelles ! De surcroît, Madeleine Borgamano commet des erreurs : ainsi, p.161, Marcel Arland n’a pas publié son dernier recueil en 1955 (en 1956, p.170 !) mais en 1970 ; p.178, la revue Taille réelle est née en 1987 et non en 1991 ; p.181, Annie Saumont a obtenu la Bourse Goncourt de la Nouvelle en 1981 et non en 1991. Quant à l’information critique, l’auteur a tout simplement oublié trop de travaux essentiels : par exemple, R. Bozzetto, « La Nouvelle de science-fiction » (dans Univers 87), O. Dezutter, Th. Hulhoven, La Nouvelle (Bruxelles, Didier Hatier, 1988, 1991), J. Glaziou « Les Années 80 de la nouvelle » (dans Brèves, 1990), J.P.Blin, « Nouvelle et narration au XX° siècle (dans La Nouvelle, Lille, 1990), Le Genre de la nouvelle dans le monde francophone au tournant du XXI° siècle(Louvain, 1995) et… « G. Simenon, le nouvelliste et le conteur » (dans Cahiers Simenon, 1993).

2. Midiohouan, Guy Ossito, Maraboutiques. Anthologie de nouvelles, Cotonou, Editions du Flamboyant, 1996, 278p.

Spécialiste de la nouvelle africaine, co-auteur d’un Bilan de la nouvelle d’expression française en Afrique noire (SPU, Campus Universitaire d’Alomey, 1994), ouvrage de référence indispensable, G.O.Midiohouan, professeur à l’Université Nationale du Bénin, rassemble dans cette anthologie un ensemble de vingt textes, du très bref au plus étendu, qui ont pour dénominateur commun la dénonciation, violente, d’un personnage-clé de la société africaine, le marabout, présenté rien de moins que comme un mystificateur de la plus belle espèce, exploitant sans vergogne la crédulité des pauvres qui l’écoutent. Datés de 1958 à 1988, les textes, regroupés autour de quatre thèmes (« Le Terreau de la foi », « Le Marabout tel qu’en lui-même », « Parasitisme et compagnie », « Tel est pris qui croyait prendre ») sont signés par plusieurs noms importants de la littérature africaine des années 1960-1980 : Birago Diop, Sembène Ousmane, Abdou Anta Ka…. Adoptant la forme du conte animalier (Communauté [des rats] de S. Ousmane, Le Tam tam de lion de B.Diop), du conte populaire récrit (« C’es là que le conte se perdit dans la mer et le nez qui le premier le reniflera ira au paradis. », p.180), inscrits, surtout, dans une réalité sociale qu’on stigmatise (« Oumar est mort… mais d’autres Oumar continuent à voler les dames, au marché, à tendre leurs mains aux clients de café. – savez-vous qui sont ces misérables déchets humains ? Oumar est mort et son assassin [le marabout] continue à vivre. L’argent du contribuable lui est compté. Il collectionne des Croix. Qui se souvient d’Oumar…Personne ! Il est un voyou, enterré par des voyous dans un petit cimetière d’arbres. » p.138-140), les textes sont de bonnes surprises, même s’ils tournent tous autour d’un seul et même sujet (mais va-t-on reprocher à la nouvelle d’avoir un sujet ?). M. Midiohouan a eu l’heureuse idée de ne pas se tenir aux textes publiés en recueil mais de ressortir des textes tirés de revues que personne, en Europe, ne pourra jamais consulter. C’est là tout un pan d’une production francophone à qui il est rendu hommage. L’anthologie s’ouvre sur une introduction qui montre pourquoi « le sentiment religieux, très profondément ancré dans le peuple, constitue le terreau où croissent les imposteurs et les escrocs. » (p.11) On lira, en fin de volume, les notices bio-bibliographiques sur les auteurs choisis.

3. La Nouvelle au Québec, publié sous la direction de Fr. Gallays et R. Vigneault, Montréal, Fidès, 1996, 265p.

Le volume se compose de dix articles, dont trois généraux . Deux historiques : « La Nouvelle avant 1940 » (J.A.Sénécal), où l’on apprend que la première nouvelle québécoise a été écrite en 1827, mais que le premier recueil publié date seulement de 1928 (quelque cent cinquante titres ont paru en revues au XIX° siècle), « La Fragmentation infinie des (im)possibles : la nouvelle fantastique et de science-fiction « (M. Lord), soit deux des grands domaines de prédilection des nouvellistes québécois à partir de 1960 et surtout dans les années 1970-1985 avec A. Berthiaume, E. Rochon, G. Pellerin, J.P.April, E. Vonaburg, une Française exilée, D. Sernine. Un article théorique (G. Genette est passé par là) : « Le Recueil de nouvelles » (A. Carpentier et D. Sauvé), qui plaide pour l’idée, à l’heure où les auteurs sacrifient à la mode du « recueil-ensemble », que le volume de nouvelles est aussi une suite hétérogène – la critique québécoise est la seule à s’intéresser autant à la notion, pourtant essentielle, de recueil. Les sept autres articles sont des monographies : quatre consacrées, pour reprendre – hum ! – la terminologie québécoise, à des auteures : Gabrielle Roy, Anne Hébert, Andrée Maillet, Madeleine Ferron ; trois à desnouvelliers : Albert Laberge, Marcel Godin, André Major. Le volume se termine par une « Bibliographie chronologique de la nouvelle au Québec, 1900-1985 », soit 1040 titres répertoriés ! (chiffre qui doit être relativisé car sont comptabilisés tout à la fois nouvelles, contes d’origine populaire, textes pour la jeunesse et co-éditions avec l’Europe). On peut regretter que des articles n’aient pas été écrits sur des nouvellistes majeurs comme Y. Thériault et Adrienne Choquette, voire des auteurs comme Félix Leclerc ou Gilles Vigneault (ce qui aurait permis de faire le point sur les rapports nouvelle-poésie ), que l’accent n’ait pas été mis sur la production féministe des années 70-80. Il n’empêche que La Nouvelle au Québec constitue une importante contribution à la découverte d’un genre qui reste ignoré de ce côté de l’Atlantique. Mais il faut dire que la critique québécoise ne fait rien pour briser cet isolement, obstinément tournée qu’elle est, il y a des exceptions, vers sa propre littérature ; je suis toujours frappé par cette attitude à n’établir aucun pont avec une production plus générale de la nouvelle contemporaine d’expression française (il n’y aura presque jamais, par exemple, de référence aux ouvrages théoriques qui paraissent en Europe en cette fin de siècle).

4. La Nouvelle québécoise au XX° siècle : de la tradition à l’innovation, sous la direction de Michel Lord et André Carpentier, Québec, Nuit Blanche Editeur, 1997, 162p.

Six articles pour parcourir la nouvelle québécoise, de la nouvelle terroiriste des années 1914-1940 à la nouvelle des années 1940-1990, pour se pencher sur l’œuvre d’auteurs incarnant un certain patrimoine : J. A.Loranger, A. Laberge, d’écrivaines (!) de nouvelles : Gabrielle Roy, Anne Hébert, Adrienne Choquette, de nouvellistes de l’étrange : Aude, D. Gagnon. Ce qui est intéressant de noter à propos de cette nouvelle, c’est qu’elle est de mieux en mieux perçue comme un objet d’étude propre : un genre qui a son histoire, ses œuvres références, ses noms exemplaires qui font l’unanimité aux yeux de la critique québécoise – même si les choix ne sont pas toujours ceux des non-Québécois familiers de la Belle Province ! Comme on voudrait qu’il en soit ainsi pour la nouvelle française du XX° siècle… Le hic, c’est que ces manifestations ne sont guère connues au-delà d’un continent, et que la critique québécoise (Genette est passé trop souvent par là hélas) enferme plus la nouvelle qu’elle ne l’ouvre au genre court francophone tout entier. L’ouvrage se termine par une intéressante Bibliographie sélective des essais et études critiques sur la nouvelle (mais trop peu de première main, de toute évidence ).

5. Midiohouan, Guy Ossito et Mathias D. Dossou, La Nouvelle d’expression française en Afrique Noire. Formes courtes, Paris, L’Harmattan, 1999, 257p.

Cette seconde mouture augmentée d’un ouvrage paru en 1994 constitue un état des lieux, bien utile, de la nouvelle africaine d’expression française de 1917 à 1980. En trois volets : un parcours historique (la période coloniale, 1917-1960, la période de renouvellement et de diversification des thèmes, 1961-1970, la période d’un essor sans précédent, 1971-1980) ; une analyse des principaux recueils des années 1970 – qui ne prend pas assez de recul, car, il faut le dire, rares sont les œuvres de grande qualité; un répertoire bibliographique des textes jusqu’en 1990 (publications surtout en revue).

6. Œuvres romanesques complètes de Marcel Aymé, édition présentée, établie et annotée par Michel Lécureur, Paris, Gallimard, 2001, 2019p. « Bibliothèque de la Pléiade »

Le troisième et dernier volume des Œuvres romanesques complètes de Marcel Aymé couvre la période 1941-1967, l’année de la mort de l’auteur, soit six romans (Travelingue, La Belle image, La Vouivre, Le Chemin des écoliers, Uranus, Les Tiroirs de l’inconnu, un curieux « anti-roman, encensé par la critique de droite, mais rejeté par la critique de gauche !), trois recueils de nouvelles (Le Passe-muraille, Le Vin de Paris, En arrière), et, sous le titre de Nouvelles diverses, des textes déjà publiés dans Enjambées (1967), La Fille du shérif (1987) ; seul est inédit Marie-Jésus (1922). Une série d’articles, surtout consacrés au théâtre, complète le volume. S’il est bien qu’un des nouvellistes les plus originaux du XX° siècle figure dans « La Pléiade » (trois volumes), comme il est dommage que dans le titre général des volumes n’apparaisse pas le terme de « nouvelle », comme dans les volumes Mérimée ou Stendhal…N’est pas signalé, sauf erreur de ma part, un florilège de onze textes (quatre du Puits aux images, quatre du Nain, trois du Vin de Paris) parus curieusement sans nom d’auteur sous le titre de Soties de la ville et des champs (Club des Livres de France, 1958).

7. Catherine Douzou, Paul Morand nouvelliste, Paris, Champion, 2003, 461p.

Il aura bien fallu attendre pour voir une étude d’ensemble consacrée à Paul Morand nouvelliste (1888-1976). Auteur prolixe dont on n’imagine pas la célébrité dans les années 30 (Ouvert la nuit, 1922, fut le premier succès commercial de Gallimard), il a subi, en raison d’activités douteuses pendant la guerre 40-45 (il ne fut pas le seul), une mise à l’écart qui dura longtemps, même si les Hussards, dans les années 1950, le relancèrent, et la partie de son oeuvre qui s’en suivit reste encore mal connue. P. Morand est, avec M. Arland puis Noël Devaulx – confinés eux toujours au purgatoire des lettres – un de ces trop rares auteurs qui ont choisi de privilégier la nouvelle. (Un écrivain célèbre en France et d’emblée, pour ses nouvelles ! l’exception qui confirme la règle) Qu’il pratique une nouvelle-portrait plutôt brève, marquée par les effets poétiques ou une nouvelle-histoire plus étendue de caractère romanesque, P. Morand a porté la nouvelle à un degré remarquable d’exemplarité, et plusieurs de ses nouvelles figurent parmi les meilleures du XX° siècle. Il était temps de se pencher sur cette oeuvre, qui a le double mérite, comme l’établit Catherine Douzou, de compter au XX° siècle et dans l’histoire littéraire et dans l’histoire de la nouvelle. Refusant les a priori critiques, le débat théorique (« …nous avons admis que pouvait être considéré comme nouvelle tout texte posé tel soit par une appellation générique explicité de la part de cet écrivain, soit par son intégration à un recueil de nouvelles. », p.18), – la chose est trop rare pour qu’on ne la salue pas – mêlant étude de sujet et de forme, Catherine Douzou aborde ce vaste ensemble de textes, à partir de quatre approches : Visions du monde et conception de l’écriture, La Structure, La Distance, La Nouvelle aux frontières des autres genres. Si les trois premières parties sont davantage des études de contenu, toujours envisagées cependant dans la perspective d’un rapport étroit avec le choix d’une forme particulière, c’est la dernière qui répond le mieux aux attentes du titre de cette étude, parce que Catherine Douzou, dira-t-on enfin, « attaque » en profondeur la notion même de nouvelle et la pratique d’un nouvelliste : « Approfondir l’art morandien et la prédilection de cet écrivain pour la nouvelle suppose d’aborder la question de l’hybridité générique. Cette problématique qui parcourt toute son œuvre permet de revenir sur la question de l’homogénéité du corpus et surtout de questionner à nouveau la conception morandienne de la nouvelle. L’auteur associe-t-il à ce genre des traits d’écriture à des effet de lecture dont certains sont invariants et fondamentaux ? ou au contraire développe-t-il sous la même appellation des textes hétérogènes quant à leur fonctionnement ? Et enfin, pourquoi Morand, visiblement tenté par d’autres formes d’écriture, se sent-il plus à l’aise dans celle qu’il appelle « nouvelles ? ». (p.337) Deux remarques : isoler (rejeter ?) comme le fait Catherine Douzou les nouvelles plus longues dans une partie (la dernière en outre) semblerait vouloir sous-entendre que la nouvelle au XX° siècle est d’abord un récit court, or l’histoire de la nouvelle au XX° siècle enseigne à suffisance que la nouvelle est aussi bien un récit court qu’un récit étendu ; j’aurais aimé que Catherine Douzou ait mieux défini la place de P. Morand – qui est essentielle – dans une histoire de la nouvelle au XX° siècle, ce qui reste donc à faire.

Publié dansLes parutions sur la nouvelle à partir de 1995