1. Madame de Tencin, Les Malheurs de l’amour, roman, édition présentée et annotée par Erik Leborgne, Paris, Editions Desjonquères, 2001, 154p.
Par rapport au Siège de Calais, nouvelle historique (1739), autre œuvre de Mme de Tencin (1682-1749), dont Prévost avait pu dire « Combien de Livres dans le goût du sien ne l’ont-ils pas précédé ? », Les Malheurs de l’amour (l’étiquette de « roman » ne figure donc pas dans le titre original- apparaît comme une production autrement personnelle, aux yeux de nombre de commentateurs, qui n’ont pas hésité à la comparer, comme d’autres œuvre encore de l’auteur, aux textes de Prévost. Datant de 1747, le texte connut plusieurs rééditions : 1766 (texte choisi ici) ,1804, 1812, 1820, 1825. Si la première partie de l’œuvre révèle une approche, fine et attentive du cœur humain, avec cette analyse psychologique de l’héroïne, qui ne se résout à oublier son amant, qui pourtant l’aurait, croit-elle oubliée, la seconde partie, avec sa succession de récits intercalés, de complications sentimentales, voire de coups de théâtre, fait rentrer l’œuvre dans le rang des productions romanesques du temps, quoi qu’en dise E. Leborgne dans son introduction, dont l’information sérieuse et le commentaire judicieux ne sont évidemment pas mis en cause.
2. Nouvelles du XVIII° siècle, textes choisis, présentés et annotés par Henri Coulet, Paris, Gallimard, 2002, 1552p. « ‘Bibliothèque de la Pléiade »
Après l’indispensable volume des Nouvelles du XVII° siècle (1997, 44 textes), voici en quelque sorte sa suite logique, non moins indispensable (même si la nouvelle au XVIII° siècle se démarque après un certain temps de celle du siècle précédent en abandonnant une forme de récit long, la nouvelle-petit roman, pour une forme brève, la nouvelle-anecdote). Privilégiant cette forme brève, H. Coulet, qui reste certainement notre meilleur connaisseur de la littérature romanesque des XVII° et XVIII° siècles, a rassemblé le plus grand nombre de textes : 85 signés de 54 auteurs et 10 anonymes. Voilà qui devrait amener définitivement les théoriciens actuels de la nouvelle à remettre en question plus d’un de leurs présupposés critiques assénés si hâtivement, dont celui qui consiste à faire naître le genre au XIX° siècle. Car l’introduction de H. Coulet constitue une excellente mise au point sur l’état d’un genre ; il n’est plus possible de nier que, depuis la Renaissance, la nouvelle, genre comme le roman, a son histoire, avec une terminologie malheureusement dominée par la confusion – toujours de mise – et qui est la pierre d’achoppement à une définition qui satisferait tout le monde. Au XVIII °siècle – ce qui ne sera plus le cas par la suite – les auteurs opèrent une séparation entre le genre du conte tel qu’il était conçu à l’époque (fantastique, oriental, merveilleux, libertin), dont on ne lira ici tout naturellement aucun exemple, et le genre de la nouvelle (qu’il soit encore intitulé « histoire », « anecdote ») ; il est bien aussi que soit affirmé que les textes « théoriques » de Diderot, si utilisés par les théoriciens actuels, n’ont eu aucune influence au XVIII° siècle (et j’ajouterai au XIX° siècle) : qu’on lise plutôt en appendice les 19 textes « théoriques » rassemblés pour apprendre que la réflexion, souvent pertinente, sur le genre n’a jamais été absente. Dans une histoire générale de la nouvelle, le XVIII° siècle n’est certainement pas le meilleur, même si l’on compte des tempéraments, au sens moderne, de nouvelliste : Caylus, Marmontel, Florian Cazotte, Mercier de Compiègne, des romanciers qui ont accordé au genre une place de choix : Marivaux, Prévost, Restif de la Bretonne, Mme Riccoboni, Sade, et ces autres qui ont fait l’histoire du genre : Mme de Gomez, Baculard d’Arnaud, Bastide, Ussieux, Loaisel de Tréogate. Mais il était temps qu’on rende justice à tous ces textes que l’on peut encore lire (ce qui n’est pas souvent le cas des nouvelles du XVII° siècle). Deux petits regrets : qu’il n’ait pas été donné , ne serait-ce que pour servir de contre-exemple, l’une ou l’autre de ces nouvelles-petits romans du début du siècle, signées entre autre Mme Durand, Vignacourt ; que Le Diable amoureux de Cazotte n’ait pas été retenu malgré tout, car, s’il est le premier « conte fantastique » français, il n’empêche que dans le titre il y a l’étiquette de « nouvelle espagnole » !
3. Nouvelles françaises du XVIII° siècle, rassemblées et présentées par Marc André Bernier et Réal Ouellet, Québec, L’Instant Même, 2005, 483p.
Ce volume se veut la suite des Nouvelles françaises du XVII° siècle paru chez le même éditeur en 2000 (éd. Frédéric Charbonneau et Réal Ouellet – réédité en France en 2005). Toute différente des intentions qui ont présidé au choix des Nouvelles françaises du XVIII° siècle (éd. Jacqueline Hellegouarc’h, Livre de Poche, « Bibliothèque Classique », 1994, 2 vol.) ou des Nouvelles du XVIII° siècle (éd. Henri Coulet, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 2002), l’option retenue ici pour cette anthologie de vingt-cinq textes laisse assez dubitatif l’historien de la nouvelle que je suis. S’il faut louer la qualité des textes ( des modèles de sujet, de narration), je pense que le volume illustre moins l’histoire de la nouvelle telle qu’elle s’est présentée comme genre pendant un siècle qu’il n’illustre plutôt l’histoire du texte court dans sa grande diversité : conte oriental (Galland et sa traduction des Mille et une nuits),conte de fées (Mme le Prince de Beaumont), conte philosophique (Voltaire), conte libertin (Crébillon fils), extrait de Mémoires (Marivaux), article de presse (Prévost), etc. Or les textes critiques rassemblés dans un dossier – qu’on consultera avec fruit – débattent d’abord de l’idée de nouvelle ! Alors que les dixseptiémistes s’entendent à présent à peu de choses près sur la terminologie (de distinguer par exemple l’histoire de la nouvelle galante ou historique de l’histoire du conte de fées), sur les textes à mettre au premier plan, à étudier, à rééditer, les dixhuitiémistes peinent manifestement à restituer une même vision de la réalité de la nouvelle pendant un siècle (je rappelle que le terme est régulièrement présent dans les titres : plus de cent-cinquante fois). A cela une raison : c’est que le XVIII° siècle est celui qui présente dans une histoire générale de la nouvelle le moins d’exempla. D’où la difficulté, très compréhensible, de s’entendre sur un corpus.
4. Madame Riccoboni, Trois histoires amoureuses et chevaleresques, textes établis sur l’édition originale de la Bibliothèque universelle des romans (1779 et 1780), préface et notes de Pascale Bolognini, Publication du Centre de Recherches sur la Transmission des Modèles Littéraires et Esthétiques, Presses Universitaires de Reims (Université de Reims Champagne-Ardennes), 2005, 159p.
Madame Riccoboni (1713-1792), auteur de textes, romans ou nouvelles, qui eurent un certain succès à la fin du XVIII° siècle (Lettres de mistriss Fanni Butlerd,1757, Histoire du marquis de Cressy, 1758, Lettres de milady Juliette Cartesby, 1759), a collaboré un temps à cette entreprise monumentale de présentation d’un état de la littérature jusqu’à la fin du XVIII° siècle que fut la Bibliothèque universelle des romans du marquis de Paulmy puis du comte de Tressan (juillet 1775-juin 1789). En hommage au genre troubadour, qui revenait à la mode, elle donna ainsi quatre nouvelles historiques et romanesques assez courtes dont l’action se déroule au moyen âge. L’une d’elles vient d’être reprise par Henri Coulet dans ses Nouvelles françaises du XVIII° siècle parues dans la Pléiade en 2002 (Histoire d’Enguerrand – sous le titre de Annales de Champagne). Les trois autres font ici l’objet d’une édition soignée : Histoire des amours de Gertrude, dame de Château-Brillant, et de Roger, comte de Montfort, Histoire d’Aloïse de Livarot, Aventures de la Germanie, Histoire de Christine de Suabe, et de Sigefroid, comte de Surger. Les textes privilégient en fait l’aspect sentimental de l’aventure contée en donnant une place importante à l’analyse des sentiments. On devine toujours l’auteur derrière l’histoire qu’elle raconte. Parfois d’ailleurs, elle intervient personnellement dans le cours du récit. Et c’est cette présence tout empreinte de sensibilité qui confère à des histoires conventionnelles – écrites dans un style remarquable par sa belle fluidité – un cachet de vérité et d’authenticité indéniables.
Pascale Bolognini ne doit pas savoir que déjà en 1970 j’avais accordé une place à l’auteur dans mon Histoire de la nouvelle française aux XVII° et XVIII° siècles et que dans la foulée j’avais même écrit un article sur Mme Riccoboni et le genre troubadour…. Passons.