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Miscellanées

A nouveau, dans le désordre, quelques souvenirs fugaces qui distillent saveur ou agacement c’est selon.
C’est la surprise de m’être vu affublé d’autres prénoms : « Jacques » (celui de mon frère !), « Louis » (sous la plume de Jacques Sternberg), « Roger », le préféré des historiens de la littérature ou des exégètes de la nouvelle (même Claude Seignolle y est venu !). J’attends avec impatience la prochaine surprise… J’aimerais assez Guy…comme Maupassant.
C’est à présent que je n’enseigne plus les étiquettes d’« écrivain » ou d’« essayiste » que l’on me colle dans les programmes des colloques. Ecrivain ? certainement pas (ai-je jamais écrit une nouvelle ?). Essayiste ? sans doute, mais j’inclinerais plus volontiers pour « historien de la nouvelle » – que je sois répertorié à la Bibliothèque Nationale de France comme auteur français me fait toujours sourire.
Les colloques depuis 1990 (ces spectacles étudiants non admis), parlons-en.
Une mine d’anecdotes, curieuses, drôles, étonnantes (mais combien d’autres, anciennes, oubliées).
C’est l’ahurissement d’apprendre (I) qu’un participant d’un colloque (à Metz) me sommait de changer le titre de ma communication parce soi-disant je le lui aurais piqué. Une lettre de ma part rappela à l’imprudent qu’il ne faut jamais rien avancer sans preuve.
C’est l’ahurissement d’apprendre (II) que l’organisateur d’un colloque sur Henri Thomas (lisez-le) s’estima offensé parce que j’avais osé émettre l’idée qu’il fallait mieux d’abord envisager l’ensemble de son œuvre de nouvelliste, si peu connue, plutôt que de se tenir à une seul texte (ce qu’il avait fait dans un article antérieur) : l’offense devait être de taille car je ne participai pas au colloque. Le monde des chercheurs est décidément chatouilleux.
C’est l’ahurissement d’apprendre (III) qu’un autre organisateur (à Angers) était tombé quasiment en transes à la lecture du titre de ma communication consacrée au seul auteur qui l’intéresse : Octave Mirbeau, auteur de deux recueils et demi, titre sur lequel j’étais sommé (c’est une manie) de m’expliquer. Je m’exécutai, mais ne me rendis pas au colloque (dommage : j’aime Angers).
C’est l’ahurissement d’apprendre (IV), quelques jours à peine avant le départ, qu’un colloque sur la nouvelle à Cotonou (Bénin) était annulé – en fait il n’avait jamais été mis sur pied ! Adieu donc vaccins (au pluriel), réservation d’avion, passeports, chapeau de paille (on annonçait plus de quarante degrés à l’ombre), etc., etc.
C’est la stupéfaction d’apprendre que de jeunes communicantes (à Lille, à Metz) étaient littéralement terrorisées à la pensée de présenter leur texte après le mien.
C’est le problème que me posa l’arrivée de descendants d’une nouvelliste, bien oubliée avec raison, du XIX° siècle venus entendre ma communication lui consacrée (à Angers). Devant leur attendrissement (ils avaient apporté une vielle photo de famille), impossible dès lors de me montrer sévère : j’expurgeai donc à la lecture, sous le regard hilare d’un des organisateurs, tout ce qui aurait pu les chagriner.
Mais il n’y a pas que les colloques.
Telle cette conférence grand public que je donnai un soir à Niort. Comme au même moment le président Chirac devait prendre la parole à la télévision, l’organisatrice était dans tous ses états : les gens allaient-ils se déplacer ? Suspense. Mais ils vinrent, et en bon nombre. La nouvelle victorieuse de Chirac !
Tel cet entretien avec un auteur belge lors de la remise d’un Prix annuel de la nouvelle en Belgique. Qui n’écoutait absolument pas ce que je lui disais, occupé, des plus fébriles, à chercher son nom dans le tome I de ma Bibliographie. Quand il découvrit la minceur de sa notice, il resta bien poli, mais je ne dus qu’à l’intervention énergique de mon ami Vincent Engel d’être invité l’année suivante.
Telle ma rencontre à Louvain-la-Neuve avec Thierry Ozwald, ce spécialiste de Mérimée, auteur par accident d’une étude sur la nouvelle dont je venais d’achever le compte rendu très critique (qu’y puis-je, si ce n’est qu’une somme jargonnesque d’interprétations hasardeuses, d’erreurs, de lacunes). Un entretien avec lui que je provoquai (il me semble que cela aurait dû être l’inverse) me renforça, hélas, dans mes certitudes. Mais comme l’individu se révéla tellement embarrassé, que la conversation dévia, allez savoir pourquoi, sur le football, notamment sur le football anglais qu’il aime et que j’aime, je ne sais ce qui me prit : je demandai à la secrétaire de la revue où allait figurer mon texte de le reprendre pour…l’atténuer. Mais la réponse fusa impitoyable : « Trop tard, le texte est parti à l’impression. »
Telle ma rencontre au café le Rostand à Paris avec une nouvelliste française, qui, à un moment, n’écouta plus ce que je disais (c’est une autre manie) pour fusiller du regard des enfants de touristes plutôt bruyants installés près de nous. Ce que le grand-père que je suis ne pouvait évidemment tolérer.
Telle cette invitation de venir à Toulouse participer à une séance de travail sur le projet d’une anthologie, rien de moins que cela, de la nouvelle mondiale. Et d’être accueilli à ma descente de train avec le tapis rouge, et de boire mes paroles, et de solliciter mon avis, et de réclamer que j’appose, comme le plus sûr garant, ma signature au bas de ce projet qui allait faire le tour des Ministères. Et puis. Et puis plus rien. Plus jamais rien. Heureusement que j’ai goûté le vrai cassoulet toulousain.
Une certaine notoriété amène parfois à recevoir de ces lettres surprenantes.
Telle celle d’un étudiant marocain, qui commençait ainsi : « Très respectueux professeur. A vrai dire, je ne sais comment vais-je vous aborder tant votre esprit est si grand et beaucoup plus admirable. En toute sincérité, je vous fais ce témoignage plein d’émotion et révérence, j’en suis si conscient de votre autorité si démesurée, de votre pouvoir critique inégalable… » Allons, on arrête.
Telles celles d’une étudiante irlandaise, dont je corrige la thèse, qui le plus familièrement du monde m’appelle par mon prénom.
Ces mauvaises manières m’enchantent finalement.
Mais le plus bel hommage qui m’ait été rendu jusqu’à présent, je le trouve dans ce texte désopilant de Vincent Engel qu’il m’adressa pour l’un de mes anniversaires (le 20 mars 2002) :

LE DEVWAAR

De notre correspondant spécial au Québec 20 mars 2037

Aujourd’hui, devant le pavillon de Coninck, une cérémonie émouvante a rassemblé un millier de personnes, jeunes et vieux, pour l’inauguration d’une plaque commémorative en l’occasion du centenaire de la naissance de René Godenne qui, fit, au siècle passé, un séjour remarqué et remarquable dans la faculté des lettres de l’université Laval. Le recteur a tenu, dans son discours inaugural, à souligner l’inouïe combinaison, chez René Godenne, du savoir et de l’amabilité. « Jamais un mot désagréable, jamais une critique envers un collègue ou un étudiant. » Et il a conclu, dans le bruit continu des sanglots de la foule : « René Godenne fut l’archétype du politiquement correct, sensible plus que tout aux droits ineffables des minorités et adepte du principe égalitariste qui fait de notre beau pays un sac de maudits couillons. »
René Godenne, aujourd’hui retiré à l’île aux grues, joue tous les matins aux ricochets avec son arrière-petit-fils et a entrepris le relevé systématique des nouvellistes de l’île, depuis 1820 à nos jours. Cette tâche, commencée le jour de son centenaire, devrait l’occuper jusqu’à demain matin. »
Québec,
Vincent Engel, pigiste à la noix.

Publié dansNouveaux souvenirs d'un liseur de nouvelles