Depuis plusieurs années, mes rapports, correspondance ou rencontre, avec les nouvellistes du XX° siècle se sont raréfiés.
Il est vrai que ces deux enquêtes menées auprès d’eux de 1978 à 1985, de 1987 à 1990 pour mes deux Bibliographies s’étaient révélées assez décevantes, à tel point que je n’avais pas renouvelé l’expérience pour la troisième. De ceux dont je sollicitais l’avis parce que j’aimais le plus souvent ce qu’ils faisaient, beaucoup (pas tous !) avaient peut-être répondu mais sans que cela débouche sur quelque chose comme il en avait été ainsi avec Marcel Arland et Pierre Gripari. Or c’est ce quelque chose que j’attendais sans doute sans me l’avouer : la joie d’être à l’écoute d’une œuvre pour avoir le plaisir de la défendre… Au contraire, certains s’étaient détachés, sur des malentendus, comme Daniel Boulanger, Jacques Sternberg, d’autres étaient restés indifférents à mon propos (ne suis-je pas pourtant une denrée rare : quelqu’un qui parle du nouvelliste du XX° siècle, cet étranger de la littérature…) – comme j’ai toujours regretté , très vaniteusement, que, sauf Jean Fougère, personne ne m’ait dédicacé un recueil, à la rigueur un texte ! En fait, seul Georges-Olivier Châteaureynaud continue à me témoigner sa fidélité (mentirais-je en affirmant que c’est sans doute grâce à lui que j’ai obtenu un prix de la Société des Gens de Lettres pour un des mes ouvrages). Dans un registre moindre, je citerai encore Hubert Haddad qui m’envoie, avec de belles dédicaces, ses recueils, mais qui bizarrement n’a jamais répondu à mes demandes de rendez-vous.
Dans cette grisaille, l’entrée en scène de Claude Seignolle ne pouvait être qu’une heureuse surprise.
Comme je l’ai noté ci-dessus, c’est en consultant mon site qu’il eut la -bonne-idée de m’écrire (et je lui sus gré d’avoir rectifié sans le moindre commentaire les quelques erreurs contenues dans la fiche de mon Tour du monde que je lui avais consacrée). Non seulement pour m’avertir de la démarche de la directrice d’Omnibus mais encore pour me remercier avec beaucoup d’émotion de l’avoir cité dans une histoire de la nouvelle du XX° siècle (« Enfin vous êtes venu et tout s’est mis en place et à sa place exacte. Vous ne m’avez pas oublié dans vos bilans et ainsi en partie grâce à votre recensement, je vais me sentir moins oublié… »). Etonnant personnage que cet octogénaire truculent, passionné dans ses envolées (que j’avais peine à déchiffrer) à évoquer ses textes, le monde de l’édition actuel, chaleureux mais aussi tranchant dans ses jugements, intarissable au téléphone ( je m’arrangeais toujours pour que ce soit lui qui m’appelle). Qui, alors que je ne l’aurai jamais rencontré, me bombarda, de 1999 à 2001, de pas moins de onze lettres ou autres petits mots, agrémentés de nombreux coups de fil. Qui ne se fit pas faute non plus de m’envoyer ses parutions les plus récentes (je retiens encore ce compte rendu, favorable, de Marcel Schneider avec cette note : » Avouez que de la part de quelqu’un qui me « bêche » c’est généreux » !) Etrange relation qui me confinait dans le rôle passif du « confident » devant les longs monologues de notre homme – et que j’écoutais avec plaisir. Dans ses lettres, Claude Seignolle me parlait de ses démarches de soutien à mon projet (ce projet était un peu le sien, non ?), appréciait mes Souvenirs (j’aimais qu’il écrive : « Vous avez une dentition en forme de herse et dites des vérités que d’aucuns n’oseraient »), manifestait son étonnement amusé devant les commentaires de certains exégètes lors d’une décade de Cerisy lui consacrée, commentaires qu’il avait peine à saisir ! Une lettre en particulier ne manqua pas de m’intéressere puisqu’il évoquait des auteurs que j’avais moi-même approchés : Pierre Gripari »l’heureux auteur qui a su se faire indispensable aux jeunes écoliers », Noël Devaulx »taiseux comme un verre chaque fois que mes élans méridionaux me poussaient à lui prendre le bras ou lui mettre la main sur l ’épaule avec gentillesse », » l’étonnant Marcel Arland, bon ami avec moi son voisin », « Marcel Béalu -les-Plaquettes mon « protecteur si indulgent », Jacques Sternberg « pédant avec moi le « folkloreur » ».