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Un jeu de 18 échecs (suite)

C’est une histoire qui commence, ainsi que je l’ai raconté plus haut, dans les années 1980 : celle de mes échecs à vouloir placer chez un éditeur une anthologie de la nouvelle du XX° siècle.
En 1991, je décide donc de mettre fin – provisoirement, je le sais – à ces tentatives et d’oublier ces déconvenues à répétition. Et le temps passe. Jusqu’au jour… Jusqu’au jour où je reçois en avril 1999 une lettre de Claude Seignolle, cet auteur qui a fait du fantastique le sel de ses nombreux recueils : il a lu la fiche que je lui avais consacrée dans le Tour du monde de la nouvelle en 80 recueils (n°61), il l’a appréciée (je disais évidemment du bien de son recueil, Les Chevaux de la nuit, 1967), il m’invite à prendre contact avec lui (sous le coup de l’enthousiasme : rares à cette époque sont les universitaires qui évoquent son nom, il s’était empressé d’acheter mes deux bibliographies de la nouvelle !). Ce que je fais. Et de m’avertir alors d’un projet qui devrait m’intéresser : la directrice d’Omnibus, où il a publié quatre volumes de Contes, récits et légendes des pays de France, prépare une anthologie de la nouvelle du XX° siècle, elle s’est déjà mise en rapport avec plusieurs personnes, qu’elle doit oublier au plus vite, m’assure-t-il, quand elle me connaîtra ( !). Et voilà, c’est reparti : la machine s’emballe à nouveau… Je prends rendez-vous avec la directrice, personne charmante s’il en est, je la vois en mai, je la revois… et elle marque son accord. Non seulement pour une anthologie du XX° siècle, mais pour une autre du XIX° siècle. Et j’aurai carte blanche. (Le bonheur est dans les nouvelles) Comme le volume du XX° siècle posera problème en raison de ces droits d’éditeur toujours élevés, décision est prise de publier en premier celui du XIX° siècle. Je concocte un sommaire, d’où sont exclus les textes les plus connus de Mérimée, de Maupassant, de Théophile Gautier, par exemple, puisqu’on les retrouve dans d’autres anthologies comme si ces auteurs n’avaient jamais écrit que ceux-là, pour ouvrir la curiosité à d’autres textes, à d’autres noms, ou tombés dans l’oubli, ou encore célèbres mais auxquels on ne songe pas. Après dix mois sort le volume : en février 2000 (Nouvelles des siècles. 44 histoires du XIX° siècle, volume de 851 pages).
Lancer une anthologie de nouvelles qui ne reprend pas pour une fois les titres habituels aurait laissé espérer qu’on s’y intéresserait. Notamment la presse. Eh bien, non ! La plupart des « comptes rendus » du volume du XIX° siècle, signés par des journalistes (aucun du Monde, du Figaro, de La Croix), se sont contentés de recopier l’un ou l’autre passage de la quatrième de couverture (ont-ils ouvert le volume ?) avec parfois ce genre de réserve (contre contre-publicité…) : « …le poids du livre le rend un peu encombrant sur la plage… » ! Et la non lecture atteint des proportions vertigineuses chez ce journaliste – belge – qui avait cru que l’auteur de François Picaud, histoire contemporaine de Alexandre Dumas était… François Picaud.
Pendant ce temps, je reprends mon premier projet d’anthologie du XX° siècle, que je modifie . Et tout se présente sous les meilleures auspices : Gallimard, à la surprise de la directrice habituée à traiter durement avec la maison (plus d’un tiers des textes retenus en sont originaires) donne son aval. Les autres éditeurs ne pourront que suivre. Aussi la préparation du volume est-elle menée rondement. Fin prêt pour l’impression, les épreuves corrigées, choisie l’illustration pour la page de couverture, il est annoncé dans le catalogue Omnibus et sur la toile (Nouvelles des siècles. 54 histoires du XX° siècle) Et l’on arrive en 2001. Et – comment aurais-je pu l’imaginer ? – les choses se gâtent : la parution est retardée, puis reportée. Parce que, contre tout attente de la directrice (chacun son tour), le volume du XIX° siècle n’a pas rencontré le succès escompté. Tout cela pour dire qu’il s’est mal vendu, très mal vendu même (1443 exemplaires en 2000 sur un total de 6124 – la suite sera pire : 19 en 2001, 45 en 2002, 45 en 2003, 114 en 2005 ). Le service commercial de rechigner dès lors à s’engager dans une autre aventure. Les années passent à nouveau. Contact est repris à intervalles réguliers, Claude Seignolle est revenu lui-même à la charge, sans que rien ne bouge. Aux dires de la directrice, il ne manquerait qu’une opportunité pour relancer l’affaire.
Qui ne se présentera jamais.
Car le 27 juin 2005 je reçois une lettre du directeur commercial d’Omnibus : les ventes de ces derniers mois de l’anthologie du XIX° siècle étant très faibles, le stock actuel, 3475 exemplaires, va être envoyé au pilon – une dizaine d’ouvrages me seront fournis à titre gracieux. Je peux bien entendu – la bonne blague – racheter le tout au prix unitaire de 4.40 euros T.T.C. (ce qui ferait 15.290 euros).
Inutile de dire que le projet de l’anthologie du XX° siècle se voit là définitivement enterré.
A tous ce surnoms qui m’ont été décernés (l’abbé Pierre de la nouvelle, le boy-scout de la nouvelle…), je propose d’ajouter celui-ci, le plus laid : le pilonné de la nouvelle.

(1) Le sommaire se trouve dans mon article à paraître « Histoire d’un cauchemar : la publication d’une anthologie de la nouvelle du XX° siècle » (Frontières de la nouvelle de langue française de 1945 à 2005 (Europe/Amérique du Nord – colloque à l’Université de Lille III 17-19 mai 2005).

Publié dansNouveaux souvenirs d'un liseur de nouvelles