Maintenant, dans le désordre, ces quelques derniers mauvais souvenirs, qui ne manquent pas de saveur, même si certains sont plus cuisants que piquants.
C’est en 1982 la fin de non recevoir des éditions Garnier-Flammarion à mon projet de publication d’un choix de nouvelles de Dumas (de grâce, lisez-les), avec cette formule consacrée que ce projet n’entrait pas dans le cadre de l’orientation donnée à leur collection : Dumas refusé !
C’est le nombre de gens, qui, me croyant sans doute investi de pouvoirs éditoriaux que je n’ai jamais eus, me soumettent leur manuscrit de nouvelles, mais qui, après une réponse polie mais franche, donc souvent négative, ne me répondent plus ou me tirent la tête quand ils me rencontrent.
C’est, en 1984, à la Foire du Livre à Bruxelles, les éditeurs de l’Atelier du Gué qui avaient imaginé, les inconscients, d’organiser, à son stand, une séance de dédicace pour la sortie du t.I de mes Nouvellistes contemporains, et à laquelle personne, mais personne ne se présenta. Il me fallut beaucoup d’imagination pour en expliquer le pourquoi à mon fils qui était tout fier de m’accompagner et qui était plus désolé que moi.
C’est Pierre Siniac, cet auteur de nouvelles policières, à qui, lors d’une lettre au sujet de mon enquête auprès des nouvellistes, je confiai l’engouement de mon fils (il avait grandi) pour ses récits et qui ne prit pas la peine de lui adresser l’exemplaire dédicacé demandé.
C’est ce nouvelliste occasionnel, Pierre Schaeffer, qui, fort peu amène, répondit à ma lettre toujours à propos de cette enquête, en m’accusant de lui faire faire le travail à ma place.
C’est l’anthologiste de nouvelles policières, Jacques Baudou, pas content de ma lettre dans laquelle je lui marquais mon étonnement devant le peu de nouvelles françaises répertoriées (il est vrai que lorsqu’on se limite à recenser les services de presse), qui me répondit vertement et ce sans le moindre accompagnement de formules de politesse.
C’est le refus sans justification des Presses Universitaires de France de faire une deuxième édition de ma Nouvelle Française, ce qui me fit réaliser encore plus à quel point le monde de la grande édition est indifférent à tout ce qui touche à la nouvelle. Indifférence qui me fut confirmée pour la nième fois puisque plusieurs directeurs de collection d’enseignement, supérieur ou secondaire, ne répondirent pas non plus à ma proposition de faire chez eux cette édition. Indifférence du monde de l’édition, mais aussi celui de l’enseignement universitaire français puisque l’Agrégation en 1992 mit à son programme la nouvelle mais étrangère.
C’est, à la Fureur de Lire à Evry en 1991, de voir si peu de monde à une Table Ronde sur la nouvelle alors que dans l’instant suivant la foule se pressait pour la remise des prix du Concours de Nouvelles. Ah ! s’il existait en France autant de lecteurs de nouvelles que de nouvellistes.
C’est la stupéfaction d’apprendre que les auteurs québécois exigeaient, contrairement à leurs homologues français, d’être rétribués pour accorder la moindre entrevue, même à des étudiants.
C’est le compte rendu expéditif, en cinq lignes et demie, de ma Bibliographie par la rédactrice de Nouvelles Nouvelles, une revue qui se crut un temps le bulletin officiel de la nouvelle en France. Il est vrai que j’avais expédié en un mot ma notice sur les recueils de la rédactrice…
C’est faire la découverte que cela n’intéresse pas les nouvellistes (pas tous) qu’on s’intéresse à eux. De l’éternelle et regrettable défiance des écrivains à l’encontre du monde universitaire. Les premiers devraient savoir pourtant que le second ne fossilise pas toujours les textes dont il s’empare.
C’est Jérôme Garcin, probablement le critique parisien dont j’apprécie le plus l’indépendance, qui s’empresse de répondre, presque dans l’heure même, à ma proposition de faire paraître dans L’Événement du Jeudi les résultats de l’affaire Maupassant (voir plus loin), mais qui, jamais, jamais, n’a daigné, lui ou son service, rendre compte de mes livres que je lui avais fait envoyer en service de presse. Scoop, quand tu nous tiens…
Ce sont les rédacteurs de L’Encrier Renversé qui, après ma décision de ne plus siéger au jury de leur Prix (quelle pénitence, tous ces textes de concours : j’en suis arrivé à leur préférer, ce qui n’est pas peu dire, les travaux scolaires de mes étudiants), n’ont plus répondu pendant tout un temps à une demande d’abonnement de ma part. Pourtant comme ils avaient su tirer parti, un peu trop immodestement à mon goût, du fait qu’ils avaient été les seuls à retenir pour publication le texte falsifié de Maupassant.
C’est la surprise, amusée, de m’entendre accuser par Daniel Zimmermann (dans une interview d’Harfang en 1994) d’avoir dit pis que pendre d’eux (je confirme) en raison de l’immense dépit qui aurait saisi toute ma personne pour m’être vu refuser la qualité enviable, si recherchée, de collaborateur de Nouvelles Nouvelles (Une revue de nouvelles, dites-vous. Ah oui, c’était il y a longtemps alors …). Dois-je dire que cette qualité, je ne l’ai jamais cherchée ?
Ce sont ces cinq lettres de refus adressée par des maisons d’édition (ici, il faudra se résoudre à taire les noms) lors de l’envoi du premier manuscrit de ces Souvenirs. Si l’une, les éd. Actes-Nord, vante les « qualités narratives certaines et une écriture solide » – dois-je le croire ? -, si l’autre, les éd. Le Temps qu’il fera, me tance de verser dans les ragots – dommage qu’il soit un des éditeurs de J. L. Trassard : voir ci-dessus, tous estiment que le livre ne pourra pas intéresser suffisamment de lecteurs (l’argent ne fait pas décidément bon ménage avec la nouvelle). L’aventure de virer au cocasse, j’en ris encore, quand, inquiet de ne pas avoir reçu de réponse d’un autre éditeur, les éd. Arléac, je lui écrivis un 25 avril pour me rappeler à son souvenir; très courtoisement, il me fit savoir le 21 mai qu’aucun manuscrit à mon nom ne lui était parvenu, ce que me confirmèrent ses services le 10 juin; or, c’est ici que l’affaire devient énorme : dans l’entre-temps, le 14 mai, j’avais déjà été averti par ces mêmes services de leur refus ! (Je certifie que le manuscrit m’a été restitué).
C’est le dépit d’avoir vu ma communication sur les nouvelles de Beckett, lors d’un colloque à l’Université d’Angers (en 1984) organisé par le Département d’anglais, déplaire à un point tel qu’elle ne fut pas reprise dans les Actes. Mais comment aurais-je pu imaginer, moi qui tiens pour des textes du plus haut ennuyeux ces nouvelles de surcroît illisibles, que les Anglo-saxons se roulent par terre de rire (ici j’exagère …) en savourant pareils textes ?(1)
(1) La communication a paru dans mes Études sur la nouvelle de langue française, p.203-208