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Mes deux seuls Festivals de la Nouvelle de Langue Française à Quetigny

C’est en 1992 que je fus invité à présider le jury du Prix Nova attribué dans le cadre du troisième Festival de la Nouvelle de Langue Française à Quetigny, près de Dijon (il s’agit de couronner l’oeuvre d’un nouvelliste francophone vivant). Annie Saumont, la lauréate de l’année précédente, n’ayant pas souhaité exercer, comme le préconisaient les statuts, la fonction de président, les organisateurs avaient songé à moi (ma vanité était à nouveau chatouillée). Rendez-vous fut donc pris pour début novembre. Et les six membres du jury, deux Suisses, une bibliothécaire de l’endroit, une linguiste de l’Université de Dijon, les deux organisateurs, toutes personnes sympathiques, et moi de sabrer dans les listes pressenties par chacun, trente-sept noms au total ! (le bibliographe de la nouvelle que j suis ne manqua pas d’être surpris) pour en arriver à retenir deux noms : Daniel Zimmermann, Jacques Sternberg. Tout un programme déjà, on ne saurait imaginer deux écrivains, deux hommes aussi opposés, d’autant que seul répondait aux exigences du Prix le second puisqu’il a une oeuvre, connue, et derrière et devant lui alors que le premier est d’abord un romancier, de surcroît que personne n’a lu. Comme il ne me serait pas venu un instant à l’esprit de préférer le premier au second, j’appuyai la candidature de Jacques Sternberg… en vain, car il fallut se rendre à l’évidence, à part la linguiste et moi personne de ce jury soi-disant spécifique n’avait lu Sternberg ! (Il est vrai que dans un communiqué de presse, dû à l’initiative des organisateurs, le nom d’un auteur que j’avais proposé, j’étais le seul, Noël Devaulx, était devenu Noël … Devautz …) C’est dès lors sans surprise que Daniel Zimmermann obtint le prix. Avouez que la couleuvre, on frisait la malhonnêteté intellectuelle, était dure à avaler. De consternante, la situation devint heureusement plus drôle (c’est du moins comme cela que je la vécus) quand il m’échut la charge de remettre à Daniel Zimmermann son prix de 30.000 francs – il devrait y avoir un prix pour les « souteneurs » de la nouvelle : le Prix de l’Aide à la Nouvelle, par exemple.  Quand on sait d’une part ce que je pense de Daniel Zimmermann, quand on sait qu’il le sait, quand on sait d’autre part ce qu’il pense de moi, quand on sait que je le sais, il y avait de quoi se divertir à m’entendre le féliciter, à l’entendre me remercier – lapsus tout à fait involontaire, je le jure, je me trompai dans son prénom …  Ah ! les bienséances (lui, n’en eut pas toutes les élégances car il remercia par la suite les membres du jury, à l’exception d’un …). Et l’on remit ça l’année suivante.  Avec Daniel Zimmermann comme président du jury, moins un des Suisses, on se réunit cette fois à deux reprises avant le Festival – je vous recommande le restaurant Téjérina à Gémeaux.  Les choses semblaient être menées plus sérieusement.  Dans un premier temps, trois noms furent retenus : Daniel Boulanger, Jacques Sternberg, Georges-Olivier Châteaureynaud, qu’on ne put départager (les voix pour Sternberg étaient toujours les mêmes) – il faut préciser que deux des membres étaient absents et qu’ils avaient envoyé par lettre leur classement : ça recommençait à être moins sérieux. Vint le jour où il fallut trancher. Après un premier tour, Daniel Boulanger fut éliminé (tant mieux : n’avait qu’à continuer à écrire des nouvelles), les deux autres obtinrent trois voix chacun.  Un second tour était nécessaire. Et c’est ici que les choses tournèrent mal pour moi. Comme la linguiste m’avait « trahi » (elle avait ses raisons, je ne lui en voulus pas), comme la troisième voix pour Sternberg était celle d’une absente et qu’elle ne pouvait plus compter (ici, ça devient franchement indécent), c’est Châteaureynaud qui l’emporta. La situation était d’autant plus enrageante pour moi que je considère ce dernier comme un des grands nouvellistes français de cette fin de siècle, qu’il le mérite cent fois son Prix et qu’en toute autre occasion j’aurais voté pour lui. (Se retrouver plaider contre un nouvelliste qu’on aime, admettez qu’il y a mieux). Seulement il me paraissait plus opportun de consacrer pour la première fois l’oeuvre d’un nouvelliste qu’aucune société littéraire n’avait eu le courage de récompenser. Pire, ce qui me faisait pester, c’était de donner l’impression, une fois de plus, que le monde de la nouvelle en France se réduit à quelques noms, ceux des familiers du Festival de Saint-Quentin, car d’abord Saumont (n’en a donc pas assez !), Zimmermann ensuite, et pourquoi pas bientôt, je prends les paris, Claude Pujade-Renaud, son alter ego. Alors que, sauf Châteaureynaud, Annie Saumont et Daniel Zimmermann ne pèsent pas lourd devant ces lauréats qu’auraient pu être Marcel Béalu (il était toujours vivant), Noël Devaulx, Marcel Schneider, Roger Grenier, Jude Stéfan (encore faut-il les avoir lus ?) Et voilà comment se déroulent les délibérations du Jury du Prix Nova.  Mais je n’étais pas au bout de mes peines. Entre le temps d’un repas et celui du Festival, je commis l’indiscrétion – impardonnable : j’assume – de révéler le nom du lauréat à un journaliste de mes connaissances, et qui le dévoila dans un éditorial daté du jour précédant le Festival. Les choses ne traînèrent pas : une lettre suivit, me signifiant que ma présence n’était plus requise dans ce haut lieu (d’escroquerie littéraire).

Que garderais-je comme souvenir de mon passage à Quetigny ?

Des images : cette triste salle, à la limite de l’entrepôt, où se déroulait le Festival, situé en plus dans un centre commercial, sinistre et désert, noyé dans une pluie très belge. Où se pressaient les autorités locales, les membres du jury, les organisateurs, leur famille, les auteurs invités, en fait les mêmes que ceux côtoyés à Saint-Quentin (pas de doute : le Festival de la Nouvelle de Saint-Quentin bis était arrivé; voilà sans doute ses organisateurs n’avaient pas jugé bon de se déplacer), et encore tout le sel de ces manifestations de province : ces nouvellistes de concours, ces pseudo-nouvellistes éternellement en herbe, ces parasites des Festivals, avec en tête ce John Taylor qu’on s’obstine à inviter partout alors qu’il n’écrit pas en français. Mais de public : point ! Le flop. Quel contraste entre les organisateurs satisfaits (on rêve) et ces animateurs de revue dépités qui se juraient de ne plus revenir (demandez à Daniel Delort). Je garde encore en mémoire l’image de Jacques Sternberg, à son arrivée à Quetigny, se précipitant vers moi en me disant que j’étais la seule personne qu’il connaissait… Heureusement quelques rencontres furent bonnes : avec Jacques Fulgence à qui j’aurais aimé donner un jour ma voix (n’avait-il pas eu le bon goût de retrouver une de mes pipes égarées, voir plus loin), avec Olympe Bhely-Quenum, dont c’était un plaisir d’écouter parler de ses amitiés littéraires des années 50.  Et puis le vieux Dijon méritait bien deux détours.

Publié dansSouvenirs d'un liseur de nouvelles