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L’Affaire de Cerisy-la-Salle

Le souvenir le plus irritant ? – à moins qu’il ne s’agisse du plus navrant : mes déconvenues avec la très respectable institution de Cerisy-la-Salle.

C’est en 1984 que me fut adressée l’invitation – flatteuse – de participer à la décade que l’institution désirait consacrer en 1986 à la nouvelle française. Il m’était encore demandé d’aider les organisateurs du colloque dans leurs recherches d’intervenants pour le XXe siècle. Ce que je fis volontiers, on s’en doute; et d’avoir l’idée, puisque les spécialistes de la nouvelle au XXe siècle se comptaient (se comptent toujours) sur les doigts d’une main (tel J. P. Blin, auteur d’une très bonne thèse, non publiée, sur la nouvelle de 1938 à 1975), de lancer des noms d’éditeurs (L’Atelier du Gué), de la directrice du Festival de la Nouvelle à Saint-Quentin, d’auteurs (Christiane Baroche, Pierre Mertens, qui ne vint pas). Quant à moi, j’avais imaginé de ne pas faire une communication en bonne et due forme, mais de me laisser aller à évoquer – déjà – divers souvenirs de « liseur de nouvelles », ce qui me fut refusé, académisme oblige.

Quelques mois plus tard, je fus recontacté pour m’entendre dire par les organisateurs que l’on estimait, en haut lieu, trop peu médiatique dirait-on de nos jours, le seul terme de « nouvelle », et que par conséquent le titre du colloque s’articulerait autour du nom attractif de Maupassant, devant donc La Nouvelle. Maupassant et après.  Devant cette réaction, que j’admettais difficilement, comme si on regrettait d’avoir eu l’idée de choisir pour sujet un champ d’étude qui ne devait intéresser personne, j’aurais déjà dû me méfier…

En juin 1986, je me rendis à Cerisy pour participer aux trois journées dévolues à la nouvelle au XXe siècle.  Si on parle tourisme, le voyage valait la peine d’être vécu : une région superbe, le Cotentin, l’endroit même : le château, son parc (mais ce n’est pas Chantilly), un établissement quatre étoiles (mais des repas une étoile), ses chambres, sans salle de bain, mais personnalisées (j’occupais la chambre Louis XIV).  Lorsque j’arrivai, ce fut pour apprendre que les premiers jours s’étaient plutôt mal passés, tout s’étant résumé à un affrontement, pénible, à la limite du psychodrame, entre exégètes de Maupassant, au grand dam – du maigre public qui s’était déplacé, proprement exaspéré par ces querelles de non-spécialistes de la nouvelle. Les trois journées consacrées au XXe siècle furent au contraire, à la satisfaction générale, intéressantes, enrichissantes, avec de bonnes communications, compréhensibles pour tous, de bonnes interventions. Et tout le monde se quitta content.

L’année suivante, je reçus d’un des organisateurs une lettre embarrassée pour m’avertir qu’en haut lieu on n’avait pu trouver comme éditeur des actes que les Presses Universitaires de Vincennes (Grandeur et Décadence !), qui consentaient à les publier à la condition d’éliminer tout ce qui concerne le XXe siècle : elles posaient là presque un ultimatum (ce serait Maupassant ou le miroir de la nouvelle ou rien), et le projet avait été accepté. Envolée ma participation !

On imaginera sans peine ma réaction devant cette façon de rendre compte d’un colloque placé sous les auspices d’un label aussi réputé. D’autant que lors de la parution du livre, en 1988, je m’aperçus qu’on m’avait menti : étaient bien parues certaines communications sur le XXe siècle, dont celle d’un universitaire à ses heures perdues nouvelliste, alors que les textes de Martine Delort, de Jean-Pierre Blin avaient disparu (le pauvre, c’était son premier article, et il le plaça, j’en suis encore désolé pour lui, dans une revue de création littéraire confidentielle)(1). En somme, tout ce que j’avais proposé avait été éliminé ! J’étais d’autant plus furieux que la plupart des articles retenus sur Maupassant, je l’ai déjà écrit mais je le répète avec grand plaisir, étaient une suite de pages surréalistes où l’oeuvre se voit tellement détachée de son environnement littéraire et de son cadre historique qu’elle n’est plus qu’un prétexte à jargonner…(2) De qui se moquait-on ? Je n’en faisais pas une affaire d’amour-propre personnelle (je suis blindé), mais, devant tant d’incorrections, j’écrivis, très incorrectement, aux responsables de Cerisy, et je me promis de ne plus remettre les pieds dans ce soi-disant haut lieu de la culture, où on la bafoue si aisément.

(1) Taille Réelle, n°15, 2e trimestre 1989, p.22-23

(2) Un des co-éditeurs du colloque n’apprécia pas du tout mes prises de position; il usa d’un Droit de réponse dans le volume La Nouvelle II. Nouvelles et Nouvellistes au XXe siècle (1992) pour émettre l’hypothèse (attristante) que j’« entends verrouiller l’étude de mon genre, et clôturer mon « pré carré ». » Moi qui recommande toujours (je le certifie) ses manuels scolaires !

Publié dansSouvenirs d'un liseur de nouvelles