Mon souvenir le plus malencontreux ? L’Affaire Plein Chant sans hésiter.
Après avoir obtenu l’accord, en 1985, de Edmond Thomas, éditeur de la revue Plein Chant, de consacrer un numéro à un florilège de textes de nouvellistes francophones vivants, choisis par mes soins, je me mis à les contacter – se concrétisait là, avec quel bonheur, par objet interposé, mon rêve, toujours inaccompli, d’anthologiste (voir plus loin). Pour ceux que je connaissais personnellement, cela ne posa pas de problème : l’accord, dont je ne doutais pas, était immédiat. Mais pour les autres, que j’avais choisis (j’insiste), les choses prirent une tournure que je n’avais pas imaginée un instant. Un scénario catastrophe se mettait peu à peu en place : les uns (huit, dont Alain Nadaud, Roger Grenier) me faisaient faux bond, mais, ce qui est normal, en s’excusant; les autres, plus incorrect tu meurs (six, dont Paul Fournel, J. M. G. Le Clézio) ne répondaient pas – un septième, Jean-Joseph Julaud, avec une candeur désarmante, et qui me désarma, expédia son texte… un an plus tard comme s’il allait de soi que son accord fût acquis. Deux nouvellistes en vinrent presque à me faire renoncer : l’un comme l’autre refusaient leur participation ! Anéanti (qui ne l’aurait été ?), je finis par saisir leurs raisons : ils n’avaient pas apprécié que j’ose manifester le souhait de ne pas recevoir des fonds de tiroir (A me relire, je concède que j’aurais dû être plus adroit, ou moins direct comme on voudra). Et donc Jehanne Jean-Charles de pousser la méchanceté à me retourner ma lettre, assortie de commentaires fielleux sur mon indélicatesse, qui ne devait m’attirer que des refus, annotée en sus en rouge (les soi-disant fautes d’orthographe que mon écriture déplorable aurait pu laisser supposer). Et donc Daniel Boulanger, avec lequel j’avais sympathisé au Festival de Saint-Quentin, de persifler sur mon insolence à avoir pensé que lui, le maître incontesté de la nouvelle française d’alors (surtout pour la critique journalistique) puisse conserver des textes de second choix. Quand on saura que Jehanne Jean-Charles et Daniel Boulanger furent les premiers à me répondre, on imaginera dans quel état d’esprit je reçus la troisième réponse ! J’étais proprement consterné devant les réactions de ces personnes qui se dissimulaient derrière des écrivains que j’apprécie (je n’en ai pas modifié pour la cause le jugement que je porte sur eux dans ma Bibliographie – comme disait Toscanini à propos de Richard Strauss : devant le musicien, je retire mon chapeau, mais devant l’homme je le remets). Et c’est peut-être parce que j’aime les textes de Marcel Béalu (il figurait aux abonnés absents) que je me décidai, en février 1986, à lui rendre visite dans sa librairie rue de Vaugirard. De fait, en y songeant, il avait bien reçu ma lettre, mais, il fallait le savoir, il ne répondait pas à ce genre de proposition sans connaître les noms des participants; mais, à propos, en cherchant vraiment, il lui semblait, oui c’est cela, que j’avais parlé, comment donc, de fonds… de fonds de tiroirs, et qu’il avait été choqué. Je m’expliquai, m’excusai, lui achetai son dernier recueil (je le découvris la semaine suivante à 10 F !), et, quelques jours plus tard, je recevais un texte ! Lorsque l’aventure de Plein Chant se termina (la catastrophe avait été évitée, mais à quel prix puisque je m’étais mis à dos des nouvellistes que je prétendais servir), je n’étais pas au bout de mes peines.
C’est que je connus l’amertume de voir le livre, un bel objet, superbement édité aux dires de beaucoup, passer inaperçu, et ce en raison, je dois le dire, de l’attitude de l’éditeur qui ne se donna pas beaucoup de peine pour le diffuser : ainsi une libraire de Toulouse, dans le cadre des manifestations du Prix du Jeune Écrivain en 1988, en commanda en vain des exemplaires. Et l’amertume fut grande encore de voir la critique française ignorer l’apport des Francophones à l’entreprise, ce qui constituait, à mes yeux, son originalité car c’était la première fois qu’un florilège était conçu de la sorte.