76. Jude Stéfan, Deux amis
(Scènes dernières (« Histoires de Vie-Mort » ou Variations V), Champ Vallon, 1995)
Deux hommes ne se sont plus vus depuis quarante ans. Redéfile le passé : de la nostalgie, pas trop de regret. Ils retournent dans la maison où l’un d’eux a habité : ultime occasion pour renouer avec une complicité d’antan (le plus entreprenant drague l’actuelle locataire qui cède…).
Les sentiments – 11 pages – *
Nouvelle-instant
« Alors il attendit un moment – le temps d’une cigarette – dans la salle à manger éclairée par le lustre, puis pensa les retrouver. Elle était étendue sur le lit pendant que l’ancien locataire qui avait tombé la veste, lui buvait le sexe, il les contourna donc et alla en se penchant lui lécher les lèvres ardemment. Il ne pouvait s’empêcher de penser : comme autrefois ! Peut-être revivait-il une scène d’adolescence, peut-être même n’avaient-ils plus soixante ans, mais vingt ? Bientôt cependant il se détacha de la femme aux yeux verdis et chafouins, enfouis dans l’obscurité que son ami avait maintenant étreinte complètement et qui suffoquait et criait de plaisir. Il aurait pu, comme jadis, rester coucher dans la chambre d’à côté, la chambre d’ami en l’occurrence, comme autrefois d’enfance ; il préféra rentrer en laissant un mot. Il redescendit donc les deux étages, se rappelant en bas les dessins et les inscriptions douteux qui figuraient au coude du couloir ou les trait horizontaux qui marquaient jadis l’évolution de leur taille. Le mot disait qu’ils se retrouveraient le lendemain matin à dix heures, si l’ami avait passé une bonne nuit dans son ancienne demeure ; sinon, qu’il était heureux de l’avoir revu, peut-être une dernière fois, et que tout cela finissait bien, que rien donc n’avait changé ! » (p.72-73)