Skip to content

79. Anne-Lise Grobéty, La Fiancée d’hiver, nouvelles (1989)

79. Anne-Lise Grobéty, La Fiancée d’hiver, nouvelles (1989)

Anne-Lise Grobéty (née en 1949 à La Chaux-de-Fonds en Suisse) est romancière : Pour mourir en février (1970), Zéro positif (1975), Infiniment plus (1989), poétesse : Maternances (1979), Les Ramoneurs (1980). Elle laisse trois recueils de nouvelles : 1. La Fiancée d’hiver, nouvelles, à la suite de la réédition commune des deux premiers romans (Lausanne, Ed. 24 Heures, 1984, 14 textes – Prix Rambert 1986 – rééd. augmentée en 1989 : La Fiancée d’hiver, nouvelles (Yvonand, B. Campiche, 15, 195 p.) – 2. Contes-gouttes (id., 1986, 26) – 3. Belle dame qui mord, récits (ibid., 1992, 14) – en 1994, le catalogue général B. Campiche 1986-1994 s’ouvre sur une nouvelle de l’auteur. Dans Écrivains d’aujourd’hui (Lausanne, Ed. 24 Heures, 1986, p.90-91), elle est interviewée sur la nouvelle : « L’écrivain romand n’est guère porté au roman-fleuve. Notre distance est plus courte.  Pour moi, je l’ai dit, ce sont plutôt les circonstances qui me ramènent vers les récits courts, comme au temps de mon adolescence.  Avec les enfants petits, le morcellement du travail rend, pour moi, tout effort de longue haleine aléatoire. », sur son premier recueil : « Ma première idée était de donner comme titre « Déclaration d’absences », tant l’absence me paraît être présente sous toutes ses formes. J’ai finalement donné au recueil le titre de la première nouvelle, La Fiancée d’hiver.  Je ne me sens pas coincée dans ce genre bref, même si je ne sais pas bien raconter des histoires. Il y a des nouvelles qui sont des histoires, au sens traditionnel du terme, mais d’autres qui sont des cristallisations de moments avant ou après quelque chose d’important.  On verra comment elles seront reçues. »

Quelques textes de La Fiancée d’hiver sont donc des histoires, et des histoires, à l’exception de On n’invente pas des choses comme ça, plutôt singulières : après l’enterrement de sa mère, morte dans un accident de montagne, sa fille laisse éclater sa haine aux yeux de tous; or elle est toujours vivante ! : profitant de la disparition d’une amie, elle a monté de toutes pièces cette farce macabre… (La Mort de Madame de Marlétoz, le seul texte long : une trentaine de pages, les autres tournant autour de la dizaine), un couple isole sa maison par des clôtures et des haies, qui se mettent à croître (Défense d’entrer), la logeuse de W. von Braun enfant qui se livrait à ses premières expériences, se souvient (Wernher von B à Zurich), une postière garde le courrier (Quand Benoîte cueille). Mais la dominante du recueil n’est pas là, parce que A. L. Grobéty est moins un conteur qu’un auteur de nouvelles-instants : une femme va rejoindre un homme (Scories – « … c’est une journée comme une autre, désaffectée, à remplir de tendresse. », p.77), lors d’une réunion d’enseignants, l’un d’eux se met à rêver (Procès-verbal de la séance du comité du 18 mai 1984 – « Au stade de l’ordre du jour, déjà, comment faire autrement que de lever les yeux vers la fenêtre, y chercher le secours du rêve, et, alors que le regard pèse dans le vague, y trouver les vagues du brouillard. », p.154), une femme lit la lettre d’une autre (Lettre de l’inconnue nue à l’homme au complet veston – « J’ai entre les mains l’une de ces lettres mortes qui parlent d’un amour […] L’instant  [c’est moi qui souligne] est un brouillon qui bout depuis si longtemps au bout de la femme bleue léchant l’éprouvette; fait d’abord de l’épouvante peur que nous connaissons déjà, enfant, brûlante au ventre, cette folle angoisse d’être abandonnée ? », p.115-117), une femme, son travail d’écrivain, sa fille (Mots-plumes – « … j’ai renoncé à être franche jusqu’aujourd’hui. », p.61), une femme, sa fille (Sale bête bête morteMatin nain). Des textes que, en raison de la forme choisie, il est difficile de résumer. L’essentiel se trouve dans les mots et non dans les faits. D’autre part, chez A. L. Grobéty, comme chez beaucoup de nouvellistes de cette fin de siècle, la nouvelle devient une évocation, à la limite un poème en prose : La Fiancée d’hiverDéclaration d’absences (« D’absences et de vides, nous sommes tissés / ce sont vides et absences qui s’entrelacent pour esquisser notre existence. / Nous sommes une source d’absences, d’abcès éclatés d’où s’écoulent nos regrets. / Nous respirons à petits traits dans le vide de l’espace, chacun sanglé dans son sas, nageant dans le silence / Respiration / superficielle / accélérée / de la mémoire. », p.189).

Narrées par un « je » qui est une voix de femme, ancrées dans un contexte suisse (mais le social n’intéresse pas l’auteur), axées sur les rapports mère-fille, vues sous un jour bien sombre (on ne doit pas être loin de la confession personnelle : l’auteur est mère de trois filles), refusant le côté morbide des choses qui définit toute la nouvelle suisse pour lui préférer la voie de la vie, donc de l’amour (« Et il lancera vers moi ses deux mains lourdes, ses bras de braises, le feu follet de ses doigts, je parcourrai du bout de mon nez toute l’étendue du champ de ses cheveux mouillés, je ferai les foins avec ma bouche. », p.75), les nouvelles de La Fiancée d’hiver – superbement écrites a-t-on dû s’en rendre compte – attesteraient presque de l’existence, objet de tant de débats théoriques contradictoires, d’une écriture féminine de la nouvelle.

Bibliographie : ?

Publié dansUn tour du monde de la nouvelle en 80 recueils