78. Daniel Zimmermann, Nouvelles de la zone interdite (1988)
Daniel Zimmermann (1935-2000) est romancier (Les Morts du lundi, 1978, La Légende de Marc et Jeanne, 1984, Prix Populiste), ardent défenseur – ce qui lui vaut toute ma sympathie – d’Alexandre Dumas (une bibliographie : Alexandre Dumas le Grand, 1993, un florilège : La Chasse au chastre et autres nouvelles humoristiques, Babel 175 1995). Il laisse cinq recueils de nouvelles : 1. Nouvelles de la zone interdite (Paris, Ed. de l’Instant, 1988, 58 textes, 117 p. – Prix de la Nouvelle du Mans 1989 – rééd. en 1992 : Paris, Manya, en 1996 : Babel 208) – 2. Les Malassis, nouvelles (Paris, Julliard, 1991, 42 – « L’Atelier Julliard ») – 3. Nouvelles du racisme ordinaire (Paris, Le Cherche-Midi, 1996, 48) -5 Le Dieu devenu homme (ibid, 1998, 14). En 1992, il a obtenu le Prix Nova de la Nouvelle dont le président du jury n’était rien de moins que… moi. Il fut le fondateur et l’animateur, avec Claude Pujade-Renaud, autre nouvelliste, de la revue Nouvelles Nouvelles (de 1986 à 1992, sept ans, soit un peu au-delà de la durée « normale » de vie d’une revue de nouvelles hélas !) – ce qui me valut de sa part une solide antipathie parce que j’ai toujours contesté le caractère élitiste et « terroriste » de son action. Il fut encore le maître d’oeuvre de trois collectifs, intéressants, sur la nouvelle : 43 Écrivains manifestent pour la nouvelle(1988), Trente après : Nouvelles de la guerre d’Algérie (1992), 131 Nouvellistes contemporains par eux-mêmes(1993).
Les Nouvelles de la zone interdite s’inscrivent dans une tradition qui remonte au début du siècle, celle d’une nouvelle engagée qui se veut un constat de ce que j’ai appelé le quotidien actualisé : il s’agit de porter témoignage sur les événements tragiques de la guerre d’Algérie (l’auteur l’a vécue pendant dix-huit mois). Le recueil est une version remaniée de 80 exercices en zone interdite (Paris, R. Morel, 1961), sorte de carnet de bord livré à l’état brut où peu de textes sont coulés dans le moule de la fiction. Le livre provoqua en son temps un beau scandale : une saisie, un blâme du Parti communiste, un procès en correctionnelle pour injure à l’armée (mais une lettre de Sartre, mais un article élogieux de Témoignage chrétien !), et l’histoire se répète : en 1988, D. Zimmermann sera interdit d’Apostrophes tandis qu’il passera à Canal + faire son Dumas !
En cinquante-huit séquences, de quelques lignes à quelques pages, instantanés ou histoires, l’auteur exprime toute l’abomination de la guerre, une guerre où il n’y a ni bon ni mauvais, où seule règne la déchéance que l’on subit ou que l’on impose : « Sous les fils électrifiés, dans la clarté des projecteurs, un corps est recroquevillé. Les sapeurs du génie le tirent hors du réseau, le retournent pour le fouiller. Son visage est tout noir, ses vêtements sont déchirés, de son ventre éclaté s’écoulent les viscères. Et tandis qu’un sapeur s’exclame joyeusement sur la longueur de la verge de l’électrocuté, le première classe Basset vomit sur le volant de son half-track. » (p.28) Ce qui caractérise la démarche de D. Zimmermann, par rapport à des nouvellistes algériens comme, par exemple, M. Achour (Le Survivant et autres nouvelles, 1971), T. Djaout (Les Rets de l’oiseleur (nouvelles), 1984), R. Mimouni (La Ceinture de l’ogresse, nouvelles, 1990), ce n’est pas de faire oeuvre de dénonciation politique, mais de rendre compte du quotidien d’une guerre vécue au jour le jour. C’est encore l’extrême brutalité, doublée d’une sécheresse de l’écriture, d’un humour qui glace, avec laquelle sont énoncés les faits : « Ligoté mais non bâillonné, le cuirassier Dufour ne peut pourtant pas crier, une boule dans la gorge, le spectacle dépasse en abomination tout ce que les gradés ont pu raconter sur le sort réservé aux prisonniers. Ils ont d’abord enculé le brigadier Fontaine à tour de rôle, tous ils lui sont passés dessus malgré ses hurlements et maintenant ils s’apprêtent à lui couper la bite et les couilles, alors qu’il est vivant. », p.106 – le texte ne figure pas dans la version de 1961). Jouant sur la signification première du terme de « nouvelle » dans le titre, D. Zimmermann égrène une succession de textes qui ont peu d’équivalent non seulement par la violence des événements et du ton, mais encore par la « brûlure » qu’ils laissent : « Les quillards font leurs adieux. Dans quatre jours chez soi. On n’y croira pas non plus à Sebdou, ni à Themeen, ni à Oran. On sera mal à l’aise. On sera abruti par la traversée, dépaysé par la France. On retrouvera, on se taira à jamais. Mais cela ne servira à rien : on peut y entrer facilement. Personne n’a jamais pu quitter la zone interdite. Personne n’a jamais pu quitter ma zone interdite. » (p.113 – la dernière page) Il est bien qu’un tel recueil ait connu plusieurs rééditions en aussi peu d’années.
Bibliographie :
- dossier Cl. Pujade-Renaud et D. Zimmermann, Harfang – la revue de la nouvelle, printemps 1994, n°7 (les attaques à mon égard valent leur pesant de mauvaise foi !)