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73. René Depestre, Alléluia pour une femme-jardin, récits (1981)

73. René Depestre, Alléluia pour une femme-jardin, récits (1981)

René Depestre (né en Haïti en 1926) est poète : Étincelles (1945), Minerai noir (1957), Un Arc-en-ciel pour l’Occident Chrétien (1967), Journal d’un animal marin (1990), essayiste : Bonjour et adieu à la négritude (1981, 1989), romancier : Hadrianna dans tous mes rêves (1988). Il laisse trois recueils de nouvelles : 1. Alléluia pour une femme-jardin, récits d’amour solaire (Montréal, Leméac, 1973, 5 textes) – 2. Alléluia pour une femme-jardin, récits(Paris, Gallimard, 1981, 10, 197 p. – Bourse Goncourt de la Nouvelle 1982 – Folio 1713) : réédition du recueil précédent, jamais signalée en France !, avec cinq nouveaux titres : Rosina dans la montagneAlléluia pour une femme-jardinDe l’eau fraîche pour GeorginaMémoires du géolibertinageNoces à Tiscornia – 3. Éros dans un train chinois, nouvelles (ibid., 1990, 10 – Folio 2456 – devient en page de titre : Éros dans un train, neuf histoires d’amour et un conte sorcier – le recueil se termine par un savoureux Glossaire des termes qui désignent les sexes masculin et féminin dans ces fictions – catalogue de quelques idées reçues autour des aventures extraordinaires des organes sexuels. Est annoncé, à plusieurs reprises, en préparation : Les Aveugles font l’amour à midi ou Les Aveugles font l’amour à midi, ROMAN ou Les Aveugles font l’amour à midiRÉCITS : on est impatient de savoir ! Dans 131 nouvellistes contemporains par eux-mêmes (Paris, Manya, 1993, p.125-127), R. Depestre nous apprend qu’être romancier et être nouvelliste, c’est tout simplement une question de compartimentage : « Je pratique une sorte d’assolement psychologique et esthétique, qui me permet de consacrer une année au roman; ensuite, l’an suivant à la nouvelle […] Je n’ai pas prévu un système d’écluses intérieures qui permettrait, dans le courant de la même année, de passer d’une forme de création à l’autre. » R. Depestre établit surtout une curieuse association entre nouvelle et texte érotique : « … dans mon esprit, s’est constituée une sorte d’identification entre art de la nouvelle et parler érotique. La nouvelle serait ainsi un jardin secret où le géolibertin (plutôt solaire) que la Caraïbe a fait de tout un versant de mon être, retrouve dans un espace restreint ses fantasmes érotiques, personnifiés dans des rencontres fulgurantes avec des créatures des contes de fées… Malgré moi, j’ai été amené à associer l’art de la nouvelle au réel merveilleux féminin ! » Voilà qui a au moins le mérite de sortir des sentiers battus ! Est-il sûr d’ailleurs que R. Depestre soit le seul à penser ainsi quand on voit, depuis quelques années, fleurir autant de recueils de nouvelles érotiques ?

A l’exception de deux aventures dramatiques (Une Ambulance pour Nashville : un Noir et une Blanche sont lynchés par le K. K. K.; Noces à Tiscornia : une histoire d’amour dans les prisons cubaines), les textes de Alléluia pour une femme-jardin sont des nouvelles érotiques : la tante Zaza, veuve, belle, scandaleuse (« Le bruit circula que Daniel Locray était mort d’une mystérieuse maladie qu’il avait contractée dans les bras de sa femme : à mesure qu’il baisait Isabelle, il voyait ses organes génitaux se réduire comme une peau de chagrin. », p.13), emmène son neveu à la campagne, le séduit : leur liaison durera deux ans (Alléluia pour une femme-jardin), un jeune homme (« … malgré ces expériences précoces, mon sexe n’avait pas encore eu l’occasion de disparaître joyeusement dans le sexe d’une jeune fille. », p.45) se libère de l’emprise d’un prêtre pour connaître sa première expérience sexuelle avec une jeune sauvageonne (Rosina dans la montagne – « L’âme, l’âme, vous n’avez que cette fumée à la bouche ! Moi, je n’ai pas honte d’être femelle et d’avoir une boulangerie sous ma robe ! Regarde, dit-elle en écartant son corsage, pourquoi devrais-je rougir de les porter si haut ? », p.50), pour séduire une jeune fille, un vieux concupiscent se met en tête de coucher d’abord avec sa tante (De l’eau fraîche pour Georgina – « qui, selon les mauvaises langues, avait eu son premier flirt avec l’un des marins de l’équipage de Christophe Colomb », p.82), à l’agonie (« Quand un nègre n’a plus de nouvelles de ses pieds et de ses couilles, le Cap-Rouge ou la lointaine Guinée de la vie, ça revient au même ! », p.87), un Noir revient à la vie grâce à un philtre magique (« … le douari […] doit être préalablement passé au feu du vagin le plus intrépide de la maison. », p.93), mais il se retrouve Blanc ! (Un Nègre à l’ombre blanche), un étudiant dresse une carte en proportionnant l’importance des pays à la beauté des femmes (Mémoires du géolibertinage), un homme retrouve sa virilité grâce au vaudou (La Visite), une passion d’amour à trois (L’Enchantement d’une heure de pluie – « La douceur de Mozart arrivait de très loin. Elle se mêla à l’eau qui éclaboussait notre vie. Sur le tapis du salon, je voyageai à la folie avec Ilona tandis que je portais sur mon dos les courbes non moins folles de Margareta. », p.136), un médecin, du nom de Braget, obsédé sexuel, sème le scandale avec sa « seringue giratoire à injection intra-vaginale » (Un Retour à Jacmel, p.185).

Dans ces textes érotiques sans fard, ancrés dans la réalité d’Haïti, règnent une truculence, une allégresse de ton, une verve des plus réjouissantes (on rit chez R. Depestre). C’est qu’il s’agit, dans une succession d’images lyriques, de véritables trouvailles, de formules aussi inattendues que brillantes (on regrettera la suppression dans l’édition de 1981 du sous-titre de 1973, qui rendait au mieux l’esprit de l’oeuvre), de dépeindre un érotisme sain, heureux (péché, perversions, connais pas : « J’avais épié des couples faisant l’amour. Ce spectacle m’avait toujours paru sain et d’une beauté qui m’avait, chaque fois, coupé le souffle. », p.44, « La jeune fille, ce matin-là, n’avait pas eu honte de cette allusion à son derrière. Tout son être n’était-il pas un alléluia avec le monde ? », p.102). Tout est un hymne à la sensualité, à la chair (Alléluia pour une femme-jardinest ainsi divisé en quatre chants), c’est-à-dire à la vie : « Ses courbes se déliaient dans une harmonie incandescente de glandes, de fibres, de tissus, de nerfs, de muscles, de chair aux rondeurs implacablement lyriques. » (p.18), « Sans aucune honte avec une souveraine simplicité, elle écarta les cuisses pour que je célébre avec les mots frais de mes seize ans la gloire de son sexe ! Alléluia pour toi, pulsation majeure de la vie ! Alléluia pour ta patience d’hormones joyeuses dans la nuit de la femme ! » (p.32). R. Depestre : l’anti G. Bataille (quelle chance !) : « … je ne pouvais m’empêcher que ma femme-jardin ne soit, dans des milliers de têtes inclinées sur le repas du soir, un souvenir qui se prête à la légende, au mythe, au récit constellé de cris d’émerveillement. » (p.35) Comme on est loin aussi des pires clichés, sinistres et plats (ici, c’est le style qu’on ne connaît pas …), des textes des nouvellistes érotiques à la mode, les R. Deforges ou autres Fr. Rey.

Ne pas oublier non plus que R. Depestre est un authentique conteur : « …le fait d’appartenir également à une culture orale […] m’a « préparé » (ou prédisposé) au récit court, qui mène son affaire à la cravache, sans, en chemin, s’encombrer de trop de personnages ni se compliquer d’intrigues exagérément romanesques. » (131 Nouvellistes contemporains par eux-mêmes).

Trop peu connu en France, R. Depestre figure au programme scolaire du Québec ! (avec Balzac, Maupassant, Mérimée, Poe, K. Mansfield, … il est un des 20 grands auteurs pour découvrir la nouvelle, Québec, Ed. La Lignée, 1990 – texte choisi : De l’eau fraîche pour Georgina).

Bibliographie : ?

Publié dansUn tour du monde de la nouvelle en 80 recueils